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Israël: le "djihadisme juif", obstacle à une paix durable depuis 35 ans

L'ultra-orthodox Yishai Shlissel au centre, suspecté d'avoir poignardé six personnes à la gay pride israélienne

© GALI TIBBON - AFP

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Par T.M.

"Tout le monde en Israël est choqué par l'acte terroriste condamnable qui a visé la famille Dawabcheh".

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a appelé vendredi le président palestinien Mahmoud Abbas. Lors de cet entretien, il a, selon son bureau, prononcé ces mots, dont celui, peu commun dans la bouche de "Bibi" lorsqu'on évoque des actes de citoyens israéliens, de "terroriste".

Un terme également employé par le président de l'État d'Israël, Reuven Rivlin : "Plus que de la honte, je ressens de la douleur. La douleur du meurtre d'un petit bébé, la douleur de voir mon peuple choisir le chemin du terrorisme et perdre son humanité", a-t-il écrit sur sa page Facebook. Cette publication lui a d'ailleurs valu d'être menacé sur les réseaux sociaux.

"Le terrorisme juif traité comme le terrorisme arabe"

"Terrorisme", le mot est lâché. Et il est cette fois dirigé contre des extrémistes juifs. Après qu'un incendie criminel par deux colons cagoulés a coûté vendredi la vie à un bébé palestinien de 18 mois.

Dimanche, le ministre israélien de la Défense, Moshé Yaalon, a d'ailleurs autorisé la "détention administrative" de ces extrémistes. Cette mesure, habituellement réservée aux Palestiniens, permet un emprisonnement sans inculpation ni jugement pour des périodes de six mois renouvelables indéfiniment.

"Le terrorisme juif doit être traité avec les mêmes moyens que le terrorisme arabe, y compris en utilisant les méthodes d'interrogatoire appropriées et des détentions administratives", affirmait le ministre.

Un "djihadisme juif" dès les années 80

Les autorités sont raccord. Et s'engagent de façon inédite contre cet extrémisme juif face auquel elles se montraient bien laxistes jusque-là. Car, comme le rappelle le Huffington Post, "Benjamin Netanyahu, obligé de gouverner avec une partie de l'extrême droite, se retrouve dans une sorte d'impasse politique".

Incarné par quelques organisations et autres réseaux anti-arabes, le "djihadisme juif", comme les journaux israéliens n'hésitent pas à le qualifier depuis vendredi, n'a pourtant rien de nouveau. Visant à servir les "intérêts du peuple juif", il apparaît en 1980 avec une série d'attentats ciblant des maires palestiniens liés à l'Organisation de libération de la Palestine (OLP).

Derrière ces attaques, une organisation terroriste appelée Hamakhteret, autrement dit "le réseau", que le Service de sécurité intérieure israélien, le Shabak, parviendra finalement à démanteler en 1984. Mais le TNT (Terror Neged Terror, "Terreur contre terreur") prendra rapidement la relève en menant plusieurs attaques, avant d'être interdit à son tour.

Baruch Goldstein, auteur du massacre d'Hébron en 1994.

Goldstein, Amir, Teitel… Les terroristes solitaires

Vint ensuite le temps des "loups solitaires", dont Baruch Goldstein est sans doute le plus connu. Le 25 février 1994, ce pédiatre israélo-américain, résidant dans la proche colonie de Kyriat Arba, pénètre dans la mosquée d'Ibrahim dans la ville cisjordanienne d'Hébron. Depuis 5 heures du matin, quelque 750 musulmans palestiniens y sont rassemblés pour la prière. Muni d'un fusil d'assaut, Goldstein ouvre le feu au hasard. Vingt-neuf fidèles sont tués, 125 autres sont blessés.

Ce massacre intervient alors que les accords de paix d'Oslo sont en négociations entre Israéliens et Palestiniens depuis septembre 1993. Les mouvements annexionnistes craignaient alors que le Premier ministre, Yitzhak Rabin, ne fassent des concessions territoriales.

Cet acte sera fermement condamné par le gouvernement israélien de l'époque, mais Rabin dira tout de même des colons israéliens qu'ils sont désormais en danger et doivent être autorisés à porter des armes, rapporte le New York Times le 3 mars 1994. L'expression "terrorisme juif" est également évoquée, mais le gouvernement considère ce phénomène comme loin d'être une aussi grande menace que le "terrorisme arabe".

Fragilisé, le processus de paix se poursuit malgré tout. Jusqu'à ce que Yitzhak Rabin, principal artisan avec Yasser Arafat, soit lui-même abattu de deux balles de revolver le 4 novembre 1995 lors d'une manifestation pour la paix à Tel Aviv. Son assassin est l'un de ses concitoyens. Un certain Yigal Amir, militant d'extrême droite. Il voulait poursuivre la lutte entamée par Glodstein et s'opposer aux accords d'Oslo. Durant son procès, il dira avoir voulu "réveiller le peuple".

Yaakov Teitel, colon extrémiste, avait tenté d'assassiner Zeev Sternhell, un militant anti-colonisation.
Yaakov Teitel, colon extrémiste, avait tenté d'assassiner Zeev Sternhell, un militant anti-colonisation. © YOSSI ZAMIR - BELGAIMAGE

Le 25 septembre 2008, Zeev Sternhell, militant anti-colonisation connu pour ses prises de position en faveur de la paix, est blessé à la suite d'une explosion. Un engin artisanal avait été déposé devant chez lui par Yaakov Teitel, un autre colon extrémiste, arrêté un an plus tard. Il l'avouera ensuite : il avait déjà tué, en 1997, un chauffeur de taxi et un berger, tous deux palestiniens.

Pour la suprématie juive

Que reste-t-il de cet extrémisme aujourd'hui ? L'attaque perpétrée vendredi dernier en Cisjordanie est en fait un nouvel exemple des agressions, actes de vandalismes et autres attaques menées par l'extrême droite israélienne, ou tout simplement par des colons, contre des Palestiniens, des Arabes israéliens, des lieux de cultes musulmans ou chrétiens, voire même des soldats israéliens.

Ces individus sont le plus souvent regroupés sous le nom Tag Mehir, que l'on peut traduire par "Le prix à payer". Né du démantèlement des colonies juives dans la bande de Gaza, perçu comme une trahison, ce mouvement s'en prend aux Palestiniens "chaque fois que l'État hébreu prend une décision jugée contraire aux intérêts du peuple juif", explique Arte. Des actes devenus "une véritable épidémie", selon l'ONG israélienne La Paix Maintenant.

Outre Tag Mehir, une organisation raciste juive, Lehava, prône la suprématie de la race juive. Active depuis 2011-2012, elle a été classée parmi les organisations terroristes par l'État hébreu, après l'incendie d'une école judéo-arabe début 2015.

L'extrémisme juif s'invite aussi dans le monde du sport, avec le mouvement dit de "La Familia", un groupe de supporters du Beitar Jérusalem, un club de football initialement 100% israélien. Ouvertement raciste et violent, il sévit dans les stades où ses membres n'hésitent pas à scander "Mort aux Arabes", leur slogan favori. La Familia est considéré comme une organisation criminelle depuis 2013, année durant laquelle deux joueurs musulmans avaient rejoint l'équipe. Ce double recrutement avait été suivi d'actes de violence à caractère raciste et un incendie criminel avait également visé les locaux du club.

Un membre des forces de sécurité israéliennes photographié devant la maison palestinienne où le bébé Ali Dawabcheh, 18 mois, a été brûlé vif par des extrémistes israéliens.
Un membre des forces de sécurité israéliennes photographié devant la maison palestinienne où le bébé Ali Dawabcheh, 18 mois, a été brûlé vif par des extrémistes israéliens. © JAAFAR ASHTIYEH - AFP

Cinq cents terroristes potentiels

En tout, il y aurait aujourd'hui 500 "djihadistes juifs" susceptibles de perpétrer des attentats, selon les estimations du Shabak, le Service de sécurité intérieure israélien. "Nombre d’entre eux résident dans des outposts, des colonies créées sans l’accord de l’Etat hébreu mais protégées par lui, ainsi que dans des implantations 'officielles' telles Hébron, Itzhar (région de Naplouse), Bat Ayin où deux réseaux terroristes ont été démantelés depuis le début des années 2000…", écrit Libération.

Et depuis le début de l'année, ce ne sont pas moins de 120 actes de violences "liés aux colons" qui ont déjà été recensés en Cisjordanie (Jérusalem-Est inclus) par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA).

Selon les estimations du "Département des négociations" de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), les colons israéliens ont mené, entre 2004 et 2014, plus de 11 000 attaques contre des Palestiniens et leur propriété.

En mai dernier, l'ONG israélienne Yesh Din, active dans la défense des droits de l'Homme, notait pour sa part que 85,3% des plaintes de Palestiniens contre des colons israéliens sont classées sans suite.

Pour plus d'informations sur ce sujet, visionnez ci-dessous "Au nom du Temple", le documentaire de Charles Enderlin, ex-correspondant de France 2 à Jérusalem, qui s'était par ailleurs exprimé sur La Première ce lundi.

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