Les rois de Kinda 1
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
A. Les premiers rois de Kinda
1. « Rab at fils de Mu wiyat du lignage de Thawrum roi de Kiddat et de
Qa n » (vers 220)
2. Les ban Badd
a. « M likum b. Badd roi de Kiddat et de Madh igum » (vers 240)
b. « M likum b. Mu wiyat roi de Kiddat et de Madh igum »
(vers 290-295)
B. Les ujrides ou ban ujr ou ban Amr b. Mu wiya
1. ujr kil al-mur r b. Amr
2. Amr al-Maq r b. ujr
3. al- rith al-Malik b. Amr
4. Les fils d‘al- rith al-Malik
5. L‘énigmatique Qays descendant d‘al- rith (en grec Kaïsos, descendant
d‘Arethas)
a. Kaïsos identifié avec le poète Imru al-Qays b. ujr b. alrith al-Malik
b. Kaïsos identifié avec Qays b. Salama b. al- rith al-Malik
c. Kaïsos, issu des ban Kabsha ?
6. Les ban Amr de l‘inscription Muraygh n 1
C. Les rameaux secondaires
1. Les l al-Jawn
2. Les ban Kabsha
3. Les ban Wal a
4. Les ban Jabala
5. Autres Kindites occupant des positions élevées
a. Ab gabr ( bgbr), qui commande une colonne de l‘armée
d‘Abraha
b. Abd al-Mas b. D ris al-Kind , gouverneur ( qib) de Najr n
c. Ukaydir b. Abd al-Malik al-Sak n
. Joëlle Beaucamp, Michael Lecker et Jérémie Schiettecatte ont eu l‘obligeance de relire ce
texte et de me faire part de leurs remarques. Les traductions de Malalas et de Photios
(Nonnosos) sont de Joëlle Beaucamp.
1
Arabia, Greece and Byzantium: Cultural Contacts in Ancient and Medieval Times, ed.
Abdulaziz Al-Helabi, Dimitrios Letsios, Moshalleh Al-Moraekhi, Abdullah Al-Abduljabbar,
Riyadh 2012 / AH 1433, Part II, pp. 59-129.
60
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
D. Les rois légendaires
E. Les ujrides et leurs suzerains imyarites
1. Les suzerains imyarites mentionnés par la Tradition arabo-islamique
2. Les expéditions imyarites en Arabie déserte
a. Tha r n Yuhan im (c. 324-c. 375)
b. Ab karib As ad (c. 375-c. 445) et son fils aśś n Yuha min
c. Shuri bi l Yakkuf (c. 468-c. 480)
d. Ma d karib Ya fur (c. 519-522)
e. Abraha (c. 535-c. 565)
3. Le changement de titulature des rois imyarites correspond-il à
l‘installation des princes kindites ?
4. L‘implicite dans les inscriptions imyarites : le cas des rois de Kinda
5. Quel était le titre officiel des princes kindites ?
6. Kinda, Qa n et imyar
Les rois de Kinda
61
Grâce à leur épopée au cœur de l‘Arabie déserte et aux poètes qui ont
célébré leurs exploits sur les champs de bataille, grâce aussi au destin tragique de
l‘un d‘entre eux, lui-même poète, les rois préislamiques de la tribu arabe de Kinda
ont conservé une place à part dans l‘imaginaire arabe. Longtemps, il a été malaisé
de reconnaître dans quelle mesure les données dont nous disposions avaient un
fondement historique. L‘exploration archéologique de la péninsule Arabique le
permet désormais.
La première tentative moderne de rédiger une histoire de Kinda remonte au
milieu du XIXe siècle. En 1847-1848, le Français ARMAND PIERRE CAUSSIN DE
PERCEVAL publie un ouvrage étonnamment ambitieux intitulé Essai sur l'histoire
des Arabes avant l'islamisme, pendant l'époque de Mahomet, et jusqu'à la réduction
de toutes les tribus sous la loi musulmane, dans lequel Kinda occupe naturellement
une place importante. C‘était la première fois qu‘un savant essayait de reconstruire
une telle histoire, de façon systématique et organisée chronologiquement.
L‘ouvrage, qui a forcé l‘admiration par sa clarté, l‘élégance de son écriture et la
maîtrise de son sujet, se fondait principalement sur le fameux Livre des chansons
(Kit b al-Agh nī), uniquement accessible alors sous forme de manuscrit. Mais
CAUSSIN ne disposait pas encore des outils méthodologiques nécessaires pour
surmonter les innombrables contradictions de la Tradition arabo-islamique,
notamment celles concernant la chronologie ; par ailleurs, il n‘avait pas un accès
aisé à une source essentielle, la poésie préislamique et les nombreux commentaires
qui l‘éclairent, alors inédits. Son œuvre est donc un magnifique inventaire des
données de la Tradition arabo-islamique, toujours utile aujourd‘hui ; mais ses
reconstructions chronologiques ne sont, comme l‘indique le titre de l‘ouvrage,
qu‘un premier « essai ».
En 1887, l‘Allemand THEODOR NÖLDEKE réalise un progrès
méthodologique important dans son étude sur les princes jafnides de Syrie (appelés
communément, de façon inappropriée, « ghass nides »). Pour disposer d'une
chronologie solide, il fait appel aux sources externes ; par ailleurs, il hiérarchise les
sources arabes en considérant que la poésie contient les données les moins altérées. 2
Dans les décennies qui suivent, la même méthode est mise en œuvre par l‘Allemand
GUSTAV ROTHSTEIN pour les Na rides d'al- ra (appelés à tort « Lakhmides »).3
L‘intérêt du monde savant se focalise pour la première fois sur les seuls
« rois de Kinda »4 quand le chercheur suédois GUNNAR OLINDER leur consacre
successivement deux études fondatrices intitulées The Kings of Kinda of the Family
of kil al-mur r (1927) et « l al- awn of the Family of kil al-Murar » (1931). Je
me fonderai naturellement sur ces deux excellentes publications dès qu‘il s‘agira
des sources arabes.
. Die Ghassânischen Fürsten aus dem Hause Gafna'sṬ
. Die Dynastie der Laẖmiden in al- îraṬ Ein Versuch zur arabisch-persischen Geschichte
zur Zeit der Sasaniden, 1899.
4
. Cette appellation est empruntée à la Tradition arabo-islamique : voir par exemple Ibn
ab b, al-Munammaq, pp. 368-370.
2
3
62
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Enfin, une nouvelle étape s'ouvre avec la découverte de nombreuses
inscriptions préislamiques en Arabie, à partir des années 1950. Quatre rois de Kinda
sont désormais attestés épigraphiquement. Par ailleurs, quelques textes imyarites
datés donnent de précieux repères chronologiques et des informations souvent
précises sur la situation politique. Mon propos va être de tenter d‘articuler toutes les
données tirées des inscriptions avec celles dont on disposait depuis longtemps grâce
aux textes narratifs, notamment ceux de la tradition arabo-islamique.
A. Les premiers rois de Kinda (Tableau 1)
Les inscriptions sabéennes et imyarites enregistrent les noms de trois rois
dont la titulature comporte le nom de Kinda en première place.5
1. « Rabī at fils de Mu wiyat du lignage de Thawrum roi de Kiddat et de
Qa ṭ n » 6 (vers 220)
Les premières mentions d‘un roi de Kinda (et de la tribu Kinda elle-même)
datent de 220 environ de l‘ère chrétienne. 7 Elles se trouvent dans deux inscriptions
sabéennes rapportant des opérations militaires du roi Sha rum Awtar (c. 210-c. 230)
contre l‘oasis de Qaryatum dh t Kahlum (Qrytm t Khlm, l‘antique Qaryat al-F w, à
quelque 300 km à l‘est-nord-est de Najr n).8 On peut en déduire que Kinda avait
alors son centre dans cette oasis.
La première inscription (Ja 635) précise notamment que le roi faisait la
guerre à deux tribus de Sahratum (le versant occidental de la chaîne yéménite)
nommées Ash ar n et Ba rum, aux Abyssins de la région de Najr n et « à Rab at du
lignage de Thawrum, roi de Kiddat et de Qa n, et aux citoyens de la ville de
Qaryatum ».9
La seconde (DAI-Bar n 2000-1), dont l‘auteur est le roi Sha r um Awtar en
personne, donne une liste un peu différente des ennemis : « Khawl n, Ash ar n,
Yrf , ẖrn, un certain nombre des ydw S¹whrn, Kiddat et Qaryatum » — noter
. Dans les inscriptions sabéennes et imyarites, l‘arabe Kinda s‘écrivait Kdt et se prononçait
probablement Kiddat, avec assimilation du nūnṬ
6
. Les citations des inscriptions sudarabiques conservent la graphie d‘origine : Kiddat (pour
Kinda), Madh igum (pour Madh ij) etc., avec notamment la mīmation et le « g » (pour
l‘arabe « j »).
7
. Les spéculations sur de plus anciennes attestations de Kinda dans les sources externes
(BUKHARIN 2009) reposent sur des bases très fragiles.
8
. Pour la localisation des toponymes, se reporter à la carte ROBIN-BRUNNER 1997, à
compléter avec la carte, Figure 1.
9
. Ja 635 / 25-28 : « … et jusqu‘à la ville de Qaryatum dh t Kahlum — deux campagnes contre
Rab at du lignage de Thawrum, roi de Kiddat et de Qa n et contre les citoyens de la ville de
Qaryatum », … w- dy hgrn Qrytm t Khl|m ty b tn b- ly Rb t - l | wrm mlk Kdt w-Q n w-bly | b l hgrn Qrytm.
5
Les rois de Kinda
63
l‘absence de Qa n ; elle ajoute que le roi « a ramené Rab at fils de Mu wiyat du
lignage de Thawrum roi de Kiddat et de Qa n dans la ville de an|[ … ».10
Ces textes comportent trois indications capitales pour notre propos. Rab at
porte le titre de « roi de Kiddat et de Qa n ». Il appartient au lignage de Thawrum,
anthroponyme qui serait, selon Ibn al-Kalb , le nom personnel de l‘éponyme de la
tribu Kinda.11 Enfin, Rab at est vaincu, capturé et amené par le roi sabéen dans sa
capitale.12
Le titre de « roi de Kiddat et de Qa n » est une nouveauté. Nous
connaissons un roi de Qaryatum dh t Kahlum un peu plus ancien (IIe siècle de l‘ère
chrétienne ?), qui se déclare « Qa nite » et dont le titre était : « roi de Qa n et
de Madh ig ». Il régnait donc sur Qa n (probablement la tribu de Qaryatum dh t
Kahlum) et Madh ig (tribu peut-être installée entre Qaryat al-F w et Najr n).13
Ce changement de titulature révèle incontestablement une évolution dans
l‘organisation politique des tribus arabes qui gravitent aux marges de Saba . Le
petit royaume dont Qaryatum dh t Kahlum est la capitale est dominé tout d‘abord par
Qa n (qui contrôle également Madh ig).
À la suite d‘événements dont nous ignorons tout, vers le début du IIIe
siècle, Kinda s‘impose à Qaryatum dh t Kahlum et une nouvelle dynastie — sans
doute kindite —prend le pouvoir : le titre du souverain est désormais « roi de
Kiddat et de Qa n ». On peut supposer que, aux habitants de Qaryatum dh t
Kahlum appartenant à Qa n, se sont adjoints des éléments de Kinda (dont on
ignore l‘origine). Si le nom de Madh ij n‘apparaît plus dans la titulature, cela ne
signifie pas que cette tribu a retrouvé son indépendance comme la suite va le
démontrer.
Il ne semble pas que Rab at fils de Mu wiyat puisse être identifié avec
l‘un des trois personnages homonymes qu‘on relève dans les généalogies de Kinda,
. DAI-Bar n 2000-1 : w-h tw Rb t bn M wyt - l wr10[m ml]k Kdt w-Q n dy hgrn
(n)11[ w …
11
. Ibn al-Kalb , Nasab Ma add, p. 136 : « Ufayr b. Ad … b. Kahl n b. Saba engendra :
Thawr, qui est Kinda » (fa-walada Ufayr bṬ Adī … bṬ Kahl n bṬ Saba : Thawran wa-huwa
Kinda). Voir aussi Tableaux 3 et 4 ; CASKEL 1966-I, tableau 176 ; SHAHȊD 1995-1, pp. 148160.
12
. Au IIIe siècle de l‘ère chrétienne, les rois de Saba ont deux résidences : le palais Ghumd n
à an et le palais Sal n à Marib.
13
. ANSARI 1979 (ou bien ANSARY 1981, p. 144) : « Mu wiyat b. Rab at du lignage de …, le
Qa nite, roi de Qa n et de Madh ig », M wyt bn Rb t - (l MṬ ) [q]| nyn mlk Q n wM g. Aucune identification avec un homonyme des généalogies arabes [voir Mu wiya b.
Rab a dans CASKEL 1966-I, tableaux 101, 104, 107, 126, 163, 164, 234 (Kinda), 237 (Kinda
/ Mu wiya al-Akram n), 240 (Kinda / al-Sak n), 260 (Madh ij / al- rith b. Ka b), 288] ne
semble possible. Concernant la localisation de Madh ij vers cette époque, nous ne disposons
que de maigres indices. Dans l‘inscription d‘al-Nam ra (= Louvre 205), le Na ride Imru alQays b. Amr déclare qu‘il « fit la guerre à Madh ig jusqu'à frapper 3 de sa lance aux portes
de Nagr n, la ville de Shammar » (... w- rb M( ) gw kdy wg 3 b-zg-h fy rtg Ngrn mdynt
Šmr). Par ailleurs, la tribu des ban l- rith b. Ka b qui domine Najr n à la veille de l'Islam
est un rameau de Ula, fraction de Madh ij (voir Tableau 4).
10
64
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
deux dans la fraction Mu wiya et un dans al-Sak n.14 C‘est donc un roi dont la
tradition n‘a pas retenu le nom, probablement parce que sa descendance était éteinte
quand les traditionnalistes ont collecté les généalogies.
2. Les banū Badd
Deux rois peuvent être réunis (de manière quelque peu hypothétique) sous
l‘appellation ban Badd , comme nous allons le montrer.
a. « M likum fils de Badd roi de Kiddat et de Madh igum » (vers 240)
Une vingtaine d‘années plus tard (aux alentours de l‘année 240), les rois
sabéens Il shara Yah ub et Ya zil Bay n (qui règnent ensemble de c. 236 à c. 255)
ont un sérieux différent avec M likum roi de Kiddat et les grands de la commune 15
dans la ville de Marib (l‘une des deux capitales des rois de Saba ) ; ils s‘en
emparent jusqu‘à ce que leur soit livré un certain Imru al-Qays roi de Kha a at n.16
La cause de la querelle n‘est pas clairement indiquée.
Une inscription qui date approximativement de la même époque (sans
qu‘on puisse établir si elle est antérieure ou postérieure) mentionne l‘envoi par les
deux rois sabéens d‘un ambassadeur auprès de ce même M likum dont elle donne la
titulature complète : « M likum fils de Badd 17 roi de Kiddat et de Madh igum ».18
Elle nous apprend incidemment que le titre du roi de Kinda a changé : c‘est
désormais « roi de Kiddat et de Madh igum ».
14
. Voir CASKEL 1966-I :
— tabl. 235 : Rab a b. Mu wiya al-Akram n b. al- rith al-A ghar b. Mu wiya b. alrith al-Akbar ;
— tabl. 234 : Rab a b. Mu wiya b. uraym b. Tha laba b. Bakr b. Imru al-Qays b. alrith al-A ghar b. Mu wiya b. al- rith al-Akbar ;
— tabl. 240 : Rab a b. Mu wiya b. Ja far b. Us ma b. Sa d b. b. Ashras b. Shab b b. alSak n b. Ashras b. Kinda.
Dans ROBIN 2005, avant la publication de l‘inscription DAI-Bar n 2000-1 qui a donné le
patronyme de Rab a, j‘avais identifié ce dernier avec Rab a b. Wahb b. al- rith al-Akbar
(un « cousin germain » de M lik b. Badd ) : cette hypothèse est désormais à écarter.
15
. Le terme « commune », qui rend le sabéen s² b, désigne une tribu sédentaire. Il est
remarquable qu‘il soit utilisé ici à propos de Kinda.
16
. Voir Ja 576 / 2-3, notamment à la ligne 2 : « parce qu‘Almaqah leur a accordé la faveur de
se saisir de M likum roi de Kiddat et de la commune de Kiddat, concernant la réparation que
M likum a faite à Almaqah et aux deux rois, à savoir Mar alqēs fils de Awfum, roi de
Kha at n, en retenant ce M likum et les chefs de Kiddat dans la ville de Marib, jusqu‘à ce
qu‘ils livrent ce jeune Mar alqēs », w-l- t hws² -hmw ( lmqh b- ẖ ) Mlkm mlk Kdt w-s² bn Kdt
b-ẖfrt hẖfr Mlkm lmqh w-m(l)k(nhn) Mr lqs¹ bn wfm mlk H̲ tn w- ẖ -hw hwt Mlkm w- kbrt
Kdt b-hgrn Mrb dy hgb w hwt lmn Mr lqs¹Ṭ
17
. Concernant la vocalisation de Badd (saba ique Bd), voir ROBIN 2001, p. 573 (pour Bdy,
voir Ir 16 / 1 et 3, et pour Bd, Ja 2110 / 9).
18
. Ja 2110 / 8-9 : Mlk|m bn Bd mlk Kdt w-M gm.
Les rois de Kinda
65
b. « M likum fils de Mu wiyat roi de Kiddat et de Madh igum » (vers 290295)
Vers la fin du IIIe siècle, un roi qui se nomme « M likum fils de Mu wiyat
roi de Kiddat et de Madh igum »19 fait l‘offrande d‘une statue de bronze dans le
temple Aw m, le grand sanctuaire de Saba , consacré au dieu Almaqah Thahw n,
« quand il s‘est mis en route et est venu se soumettre à la main de leur seigneur
Shammar Yuhar ish, roi de Saba et de dhu-Rayd n, fils de Y sirum Yuhan im, roi
de Saba et de dhu-Rayd n, dans la ville de Marib ».20
Ce document officialise le passage de Kinda sous le contrôle de imyar.
On peut le déduire du fait que seuls les Sabéens sont admis dans le temple Aw m.
Or, en se soumettant, M likum b. Mu wiyat devient Sabéen, puisque le roi de
imyar est d‘abord « roi de Saba ».21
Shammar Yuhar ish, le souverain de imyar (c. 287-311), n‘ajoute pas les
noms de Kinda et de Madh ij à sa titulature. Cependant, vers la même époque, sa
titulature se modifie : Shammar Yuhar ish, qui était « roi de Saba et de dhuRayd n », prend le titre de « roi de Saba , de dhu-Rayd n, du a ramawt et du Sud
(Ymnt) ». L‘ajout de « a ramawt » résulte clairement de la conquête de Shabwat,
capitale du a ramawt. On peut donc se demander si l‘ajout de l‘énigmatique Ymnt
ne serait pas dû à l‘annexion de vastes territoires du sud de l‘Arabie déserte — et
non du sud du a ramawt comme on l‘estime d‘ordinaire.
L‘autorité que les rois de Kinda exercent sur Madh ij, attestée au IIIe siècle
par le titre des rois Malikum fils de Badd et Malikum fils de Mu wiyat, n‘est pas
remise en cause par le souverain imyarite. On peut le déduire de la composition
des troupes auxiliaires que les tribus arabes fournissent aux armées imyarites. En
effet, chaque fois que l‘on a mention d‘un contingent de Kinda, on relève,
immédiatement après, la mention d‘un contingent de Madh ij (ou des tribus de Sa d
et Ula qui en relèvent) (voir E.4. « L‘implicite dans les inscriptions imyarites : le
cas des rois de Kinda »).
Deux autres indices vont dans la même direction. Un Kindite est le
gouverneur ( qib) de Najr n à l‘époque de Mu ammad (ci-dessous C.5.b. « Abd
al-Mas b. D ris al-Kind »). Par ailleurs, la seule inscription mentionnant un
ujride se trouve dans une région qui, comme Najr n, appartenait à Madh ij (cidessous B. 1. « ujr kil al-mur r b. Amr »).
. Le nom du roi, incomplet à la l. 1 ([Mlkm bn M w]yt mlk Kdt w-M gm), est restitué
d‘après la l. 11.
20
. MB 2006 I-54 : b-kn mẓ 5 w-nf l-s¹tlmn b-yd mr6 -hmw S²mr Yhr s² mlk 7 S¹b w- -Rydn
bn Ys¹rm 8 Yhn m mlk S¹b w- -Ryd9n b-hgrn Mrb. Je remercie vivement M. Mohamed
Maraqten d‘avoir bien voulu me donner une copie de ce texte capital.
21
. Pour la période des Ier-IVe siècles, les offrandes qui sont faites par des personnes dont
l‘appartenance à Saba n‘est pas évidente sont très peu nombreuses : on peut citer celles des
rois de imyar Y sirum Yuhan im et Shammar Yuhar ish (Ir 14 = SHARAF 29 ; SHARAF 35),
peut-être celle des ban dhu-Th t (Ja 661, du règne de Shammar Yuhar ish) et celles
d‘Arabes (MB 2006 I-54 ; Ir 16 dont les auteurs appartiennent à la tribu ad n / al- ad ,
serviteurs du roi Shammar Yuhar ish).
19
66
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
La date à laquelle M likum fils de Mu wiyat se soumet à Shammar
Yuhar ish peut être fixée de manière assez précise vers 290-295. Elle est antérieure
à l‘adoption de la « titulature longue » (« roi de Saba , de dhu-Rayd n, du
a ramawt et du Sud ») qui résulte de la conquête du a ramawt vers 296. Par
ailleurs, elle se situe sans doute dans la seconde partie du règne du roi Shammar
Yuhar ish portant encore la titulature courte (« roi de Saba et de dhu-Rayd n »,
c. 287-c. 296). On sait en effet que Kinda est encore indépendante au début du
règne puisqu‘elle porte assistance au a ramawt déjà menacé par imyar (BR-M.
Bay n 5).
Selon cette dernière inscription, Shammar Yuhar ish charge le
commandant de sa cavalerie « de surveiller et prendre en embuscade les secours de
Kiddat quand ceux-ci portaient secours au a ramōt et il les prit en embuscade à
Arak »;22 plus loin dans le même texte, l‘auteur se félicite que le dieu lui ait
accordé « de surprendre ces deux expéditions de secours et de se sai|sir des
personnes et de ce qu‘elles apportaient ».23
Le soutien que Kinda apporte au a ramawt montre que ces deux tribus
ont déjà noué des liens étroits ; il s‘explique peut-être par le fait que certains
groupes de Kinda sont déjà installés dans le a ramawt occidental (où ils sont
attestés au VIe et au VIIe siècle).
Les rois M likum fils de Badd et M likum fils de Mu wiyat, qui portent
le même titre, sont séparés par une cinquantaine d‘années. En outre, ils ont le même
nom, comme souvent un grand-père et son petit-fils (par les premiers-nés). Il est
donc tentant de faire l‘hypothèse que M likum b. Mu wiyat est le fils de
*Mu wiyat 24 b. M likum, lui-même fils de M likum b. Badd . Cette dynastie peut
être dénommée les « ban Badd » (Tableau 1).
. BR-M. Bay n 5 : l-r d w-t bn 7 zbd Kdt br n zbdw rmt w-tw b-h|mw b- rk.
. BR-M. Bay n 5 : w-ẖmr-hmw mr -hmw lmqh- h9wn-b l- wm b-wrd b-hmt zbdnhn wẖ10 -hmw w-zbd-hmw.
24
. L‘étoile qui précède l‘anthroponyme Mu wiyat signifie que ce personnage n‘est pas
attesté directement.
22
23
Les rois de Kinda
67
Tableau 1
Les rois de Kinda, Madh ij et Qa
n mentionnés dans les inscriptions
Date 25
Rois de Qa
c. IIe s.
1. Mu wiyat fils de Rab at
(roi de Qa
n
Rois de Kiddat / Kinda
n et Madh ig)
1. Rab at fils de Mu wiyat
c. 220
(roi de Kiddat et de Qa
n)
LES BANU BADDA
1. M likum
c. 240
(roi de Kiddat)
M likum fils de Badd
(roi de Kiddat et Madh igum)
c. 270
[*Mu wiyat fils de M likum]
c. 290-295
2. M likum fils de Mu wiyat
(roi de Kiddat et Madh igum)
LES UJRIDES
e
e
IV -VI
s.
1. ugr fils de Amrum
(roi de Kiddat)
. D‘après les seules données de l‘épigraphie.
25
68
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Si nous examinons maintenant ce que la Tradition arabo-islamique a
retenu des généalogies de Kinda, nous trouvons de fait un lignage appelé « ban
Badd » dans la descendance d‘al- rith al-Akbar (b. Mu wiya b. Thawr b.
Amr / Muratti b. Mu wiya b. Kinda), l‘ancêtre de toutes les dynasties kindites
(Tableaux 2 et 3).26 Deux membres de ce lignage,
— M lik b. Badd ,
— M lik b. Mu wiya (dh l- Aynayn) b. M lik b. al- rith b. Badd
(postérieur de trois générations) (Tableau 2),
peuvent être identifiés avec les rois de Kinda du IIIe siècle que nous venons de voir :
— M lik b. Badd (Mlkm bn Bd : Ja 576 / 2 et Ja 2110 / 8-9), vers 240 ;
— M lik b. Mu wiya (Mlkm bṬ M wyt : MB 2006 I-54), vers 290-295.
Non seulement les noms et les patronymes sont identiques, mais encore
l‘écart de quelque 55 ans correspond approximativement à trois générations.
On notera cependant une petite différence avec notre hypothèse de départ
(M lik b. Mu wiya fils de Mu wiya b. M lik, lui-même fils de M lik b. Badd ) :
— Mu wiya n‘est pas le petit-fils, mais l‘arrière petit-fils de Badd ;
— il n‘est pas le fils de M lik b. Badd , mais le petit-fils de son frère alrith b. Badd .
Il faut encore observer que les descendants de ces ban Badd qui, à
l‘époque islamique, étaient établis à al-Bu ra, ne semblent pas avoir retenu que
certains de leurs ancêtres avaient régné. Mais ils prétendaient, si l‘on en croit Ibn alKalb , que la mère de M lik b. Badd était issue de l‘un des plus nobles lignages
imyarites, les l dh Yazan.27
Enfin, si la paire nom-patronyme M lik b. Badd est fort rare (puisqu‘Ibn
al-Kalb n‘en mentionne qu‘un seul exemple),28 il n‘en est pas de même de M lik b.
Mu wiya, dont on a quinze attestations.29
Malgré ces réserves, les convergences remarquables entre les données de
l‘épigraphie et celles de la Tradition arabo-islamique paraissent déterminantes.
Elles nous conduisent à restituer au IIIe siècle — avec évidemment un part
d‘hypothèse — une séquence de règnes organisée selon la généalogie suivante :
. Ibn al-Kalb , Nasab Ma add, pp. 178-179 ; CASKEL 1966-I, tableau 233.
. Nasab Ma add, p. 178.
28
. Précisément celui dont nous traitons, CASKEL 1966-I, tableau 233 (Kinda).
29
. CASKEL 1966-I, tableaux 87, 97, 103, 105, 163, 229, 230, 230, 233 (Kinda), 234 (Kinda),
242 (Kinda / al-Sak n), 258 (Madh ij), 268 (Madh ij / Sa d al- Ash ra), 269 (Madh ij / Sa d
al- Ash ra), 280.
26
27
Les rois de Kinda
69
Tableau 2
Les rois de Kinda au IIIe siècle de l’ère chrétienne (épigraphie et traditions)30
al-
rith al-Akbar
_______________________________________________
Wahb
Badd
Mu wiya
________________________
c. 240
M lik
al-
rith
M lik
Mu wiya (dh
c. 295
l- Aynayn)
M lik
30
. Tableau généalogique d‘après Ibn al-Kalb (Nasab Ma add, pp. 178-179 et CASKEL 1966I, tableau 233), avec les seuls noms significatifs pour notre propos.
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
70
B. Les
ujrides ou banū
ujr ou banū Amr b. Mu wiya31
Les premiers rois de Kinda sont attestés grâce aux inscriptions. Leurs
successeurs, les ujrides, ne sont guère connus que par la Tradition araboislamique.
Outre Badd ‘, al- rith al-Akbar (b. Mu wiya b. Thawr b.
Amr / Muratti b. Mu wiya b. Kinda), l‘ancêtre de toutes les dynasties kindites
comme je l‘ai dit, est également le père de Mu wiya qui aurait eu lui-même trois
fils. Deux d‘entre eux comptent des rois parmi leurs descendants : Amr
(b. Mu wiya) qui est le père de ujr kil al-mur r (l‘ancêtre des ujrides dont il
est question dans ce chapitre) et d‘al- rith al-Wall da (l‘ancêtre des ban Wal a,
ci-dessous, C.3.) ; et al- rith al-A ghar (b. Mu wiya) qui est l‘ancêtre des ban
Jabala (ci-dessous, C.4.) (Tableau 3).
C‘est parmi les ujrides que se trouvent les rois dont le souvenir est
encore vif dans la mémoire arabe. On dispose sur eux de sources particulièrement
abondantes. Cette dynastie règne pendant quatre ou cinq générations, avec deux
règnes marquants, ceux de ujr kil al-mur r et d'al- rith al-Malik.
1. ujr kil al-mur r b. Amr
ujr b. Amr, surnommé « le mangeur d‘herbes amères » ( kil al-mur r)32
est le fondateur de la dynastie kindite qui régna sur une vaste confédération tribale
de l‘Arabie déserte appelée Ma add.33 J‘ai donné à cette dynastie le nom de
31
. CASKEL 1966-I, tableau 238 ; OLINDER 1927 ; ROBIN 1996 ; ROBIN 2008 a.
. OLINDER 1927, pp. 37-46.
33
. Selon MICHAEL ZWETTLER (2000), aucune source ne prouve que le nom de « Ma add has
ever been used, in the course of recorded history, to designate a ―tribe‖ or ―confederation‖ as
such ». Ma add serait plutôt une « collective entity : namely, the general population of
predominantly camel-herding Arab bedouins and bedouin tribal groups — irrespective of
lineage or place of origin — who ranged, encamped, and resided throughout most of the
central and northern peninsula (including the southern Sam wa désert) and who had come to
adopt the šad d-saddle and also, by the third century, to utilise it so effectively as a means of
developing and exploiting within a désert environment the superior military advantages
offered by horses and horse cavalry » (pp. 284-285). S‘il est vrai que les sources ne qualifient
pas explicitement Ma add de « tribu » ni n‘évoquent certaines institutions qui permettraient
de reconnaître une formation tribale (chef, assemblée, culte commun etc.), des expressions
comme « le Pays de Ma addum » ( r M dm, Ma sal 1 = Ry 509 / 5-6) ou « les Arabes de
Ma addum » ( rb M dm, Muraygh n 3 / 4) sont utilisées d‘ordinaire avec des noms de tribu.
Par ailleurs, l‘histoire tribale de l‘Arabie offre plusieurs exemples d‘une évolution en trois
étapes, commençant avec une simple tribu, se poursuivant avec un vaste agrégat de groupes
fédérés autour de cette tribu sous le même nom, s‘achevant enfin avec des éléments dispersés
(sans chef commun, sans capitale et sans territoire continu) toujours appelés de même. C‘est
au Yémen qu‘on trouve les exemples les plus clairs : Saba , imyar, a ramawt, Kinda,
Madh ij ou Mur d ; il en va probablement de même avec Ghass n, Niz r, Mu ar, Ma add ou
Tan kh (attestées dans l‘épigraphie) ou Qu ‘a. Il est vrai que WERNER CASKEL qualifie
32
Les rois de Kinda
71
« ujrides ». Dans les sources arabes, on parle de descendants de ujr ou de Amr
b. Mu wiya (ban ujr ou ban Amr b. Mu wiya).
La Tradition n'indique pas comment ujr a accédé au pouvoir dans la tribu
de Kinda. Mais elle précise qu'il a été fait roi des tribus de Ma add par Tubba (le
roi de imyar). Ce dernier est parfois identifié plus précisément : ce serait ass n
b. Tubba ou Tubba b. Karib « qui revêtit la Ka ba d‘une kiswa ».34 Une seule
source, al-Ya q b , précise la durée du règne de ujr : 23 ans.
Les données sur l'extension du royaume de ujr sont assez maigres. Il
gouverne Ma add, mais aussi Rab a — notamment Bakr qui en est la principale
tribu — en Arabie du nord-est. Avec Rab a, il lance des expéditions contre alBa rayn en Arabie orientale et contre Lakhm en Arabie du nord-est. De façon assez
logique, Ibn al-Ath r conclut qu'il est le « roi des Arabes dans le Najd et au
voisinage du Ir q ».
Les liens que Kinda noue alors avec Rab a semblent avoir été solides :
quelques traditions rapportent que Kinda et Rab a logeaient et effectuaient les rites
aux mêmes emplacements pendant le pèlerinage à Makka ; certains prétendaient
même que Kinda se rattachait à Rab a.35
Les traditions expliquent le surnom « le Mangeur d‘herbes amères » ( kil
al-mur r) de diverses manières : il aurait mangé une herbe amère appelée mur r ou
ressemblerait à un chameau dont la gueule écume après en avoir brouté. Elles
insistent sur ses exploits militaires, racontant notamment comment il a poursuivi et
tué un chef tribal des marches de la Syrie qui avait enlevé sa femme.
Les sources prétendent que ujr résidait à Ghamr dh Kinda (à une
soixantaine de kilomètres au nord-nord-est de Makka)36 ou qu‘il avait installé son
camp à Ba n qil (carte 1),37 à quelque 320 km au nord-ouest de la moderne alRiy . Il serait mort de vieillesse après un règne long et heureux. C'est à Ba n qil
qu'il serait enterré.
Ghass n de « fiktive Gemeinschaft » (CASKEL 1966-II, pp. 35 et 273) ; mais, à mon avis, il
commet une erreur de perspective, oubliant que la troisième étape qui est bien documentée, a
été précédée par deux autres.
34
. OLINDER 1927, p. 39.
35
. KISTER-PLESSNER 1976, pp. 58-59. Il est vrai que de telles affirmations peuvent être
dictées par les circonstances. Le même article en donne deux exemples. Le premier est
l‘affirmation par la délégation de Kinda qui se rendit auprès de Mu ammad que les ban
kil al-mur r (la dynastie kindite) se rattachaient aux ban Abd Man f (le clan qurayshite
auquel appartenait Mu ammad). Le second exemple est que Abb s et Ab Sufy n se
réclamaient d‘une ascendance kindite quand ils se rendaient au Yémen.
36
. OLINDER 1927, p. 34. al-J sir 1981 (pp. 351-352 et n. 1, p. 352) identifie Ghamr dh Kinda
avec Bust n al-Ghumayr, qui domine Nakhlat al-Sh miyya, à 21 miles à l‘ouest de dh t Irq
(voir aussi pp. 603-604 et n. 2, p. 603). Comme dh t Irq se trouve à 90 km au nord-nord-est
de Makka, Ghamr dh Kinda serait donc à une soixantaine de kilomètres au nord-nord-est de
cette dernière. Pour la géographie de cette région, voir aussi Lecker 1989, pp. 37 et suiv.
37
. Les poètes préislamiques font souvent référence à qil : voir THILO 1958, p. 29, qui
donne quinze références.
72
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Le caractère historique de ujr b. Amr est confirmé par un graffite
rupestre (Gajda- ujr, Figures 1 et 2) qu‘il a gravé sur un rocher, dans une zone
désertique, à une centaine de kilomètres au nord-est de Najr n:38
« ujr b. Amrum roi de Kiddat »
( gr bṬ mrm mlk Kdt)
Ce texte, qui n‘est pas daté, présente une graphie caractéristique des
derniers siècles avant l‘Islam, de sorte que l‘identification paraît assurée, même si
les généalogies de Kinda connaissent trois ujr b. Amr.39
On notera que ujr se donne le simple titre de « roi de Kiddat ». Il ne
mentionne ni Madh ij ni Ma add. La référence à Kinda me paraît significative : elle
implique que ujr règne toujours sur la tribu-mère (au Yémen), même s‘il a reçu
d‘autres responsabilités dans les territoires conquis par les imyarites en Arabie
centrale. Il en va certainement de même des deux premiers successeurs de ujr.
Mais, à une date antérieure à 547, le pouvoir sur la tribu-mère passe aux ban
Kabsha, descendants de Amr al-Maq r b. ujr, (ci-dessous, C.2. « Les ban
Kabsha »).
L‘absence de Madh ij dans le titre de ujr ne semble pas impliquer que ce
dernier ne règne plus sur cette tribu (ci-dessus A.2. « Les ban Badd »). En effet,
l'endroit où le graffite Gajda- ujr a été gravé se trouvait probablement en territoire
madh ijite.40
On peut enfin se demander si Amr, le père de ujr, a régné. Dans la
pratique sudarabique, un souverain ne mentionne le nom de son père que si ce
dernier a occupé le trône. Il n‘est pas sûr, cependant, que les mêmes règles soient
suivies par les princes arabes. De fait, selon la Tradition arabo-islamique, ujr
aurait succédé non à Amr, mais à Wahb, qui appartenait à un autre rameau de la
famille (Tableau 3, et ci-dessous D. « Les rois légendaires »).
2. Amr al-Maqṣūr b. ujr
ujr aurait eu deux fils, Amr b. ujr, surnommé « le Limité » (alMaq r)41 qui hérita du trône et Mu wiya al-Jawn qui reçut la Yam ma (où ses
descendants sont attestés jusqu'à la fin du royaume de Kinda : voir C.1. « Les l alJawn »). Le surnom « al-Maq r » viendrait de l'échec de Amr soit à conserver le
royaume de son père soit à l‘égaler au regard de la postérité.
On ne sait rien de la durée et des événements du règne. Une tradition que
GUNNAR OLINDER rattache à Kalb rapporte qu‘un roi imyarite, Marthad b. Abd
Yankuf, aurait envoyé une grande armée pour soutenir Amr, mais que ce fut en
vain. Amr aurait été vaincu et tué par
mir al-Jawn à la bataille de Qan n.
. Il se trouve précisément à Naf d Musamm , à quelque 25 km au nord-ouest de Kawkab.
. CASKEL 1966-I, tableaux 235 et 238 : le fondateur de la dynastie, ujr kil al-mur r
b. Amr b. Mu wiya ; son petit-fils ujr b. Amr al-Maq r b. ujr ; un personnage plus
obscur, ujr b. Amr b. Ab Karib (dans la descendance de Mu wiya al-Akram n).
40
. Voir n. 13 ci-dessus.
41
. OLINDER 1927, pp. 47-50.
38
39
Les rois de Kinda
73
D‘autres récits font mourir Amr b. ujr dans un combat contre un prince de
Ghass n.
La tradition sudarabique donne d‘autres détails. Amr b. ujr aurait reçu
certaines responsabilités du souverain imyarite ass n b. Tubba . Puis il aurait été
au service de Amr b. Tubba , le frère et l‘assassin de ass n. Amr b. Tubba lui
aurait même donné en mariage l‘une de ses nièces, fille de ass n, apparemment
pour humilier les descendants de ce dernier et non pour honorer le prince kindite.
3. al- rith al-Malik b. Amr
Le successeur de Amr b. ujr est son fils al- rith b. Amr, surnommé
« le Roi » (al-Malik). Il est la figure la plus marquante de la dynastie, avec un règne
particulièrement long, qui aurait atteint 40 ans selon certains ou 60 ans selon
d‘autres. Le surnom « al-Malik » qui confirme l‘éclat de ce souverain, se trouve
notamment dans un vers de son petit fils, le fameux poète Imru al-Qays b. ujr b.
al- rith :
« Puisse après al- rith le Roi fils de Amr
qui régna sur le Ir q aussi loin que le Um n ṬṬṬ ».42
On ne sait pas grand-chose de son accession au pouvoir. Selon la tradition
sudarabique, al- rith aurait été investi du commandement d‘une grande armée
pour marcher contre Ma add, al- ra et les régions adjacentes, par son oncle
maternel Tubba b. ass n b. Tubba b. Malk karib b. Tubba al-Aqran. Le même
Tubba en fit le roi de la tribu Bakr b. W il. La tradition bakrite donne une version
un peu différente : il aurait été porté au pouvoir par la tribu elle-même qui voulait se
venger des rois d‘al- ra.
On trouve aussi des récits fort divergents. Selon al-D nawar , al- rith
aurait été investi de la royauté sur Ma add par un usurpateur imyarite, uhb n b.
dh
arb (le successeur de Amr b. Tubba ). Ce uhb n se serait rendu dans la
Tih ma pour mettre de l‘ordre parmi les descendants de Ma add, qui lui
demandaient un roi ; il aurait choisi al- rith parce que, par sa mère (qui était issue
des ban
mir b. a a a), il était apparenté à Ma add.
Les traditions qui s'intéressent aux relations d'al- rith avec al- ra et la
Perse s s nide sont particulièrement nombreuses, surtout si on les compare avec
celles relatives à Ghass n et à l'Empire romain. Elles impliquent qu'al- rith a
étendu son pouvoir non seulement sur la région d'al- ra, mais aussi au-delà de
l'Euphrate dans le sud de la Mésopotamie. Mais l'abondance des sources ne nous
éclaire qu'à demi, à cause de multiples ambiguïtés et contradictions. OLINDER pense
pouvoir distinguer deux périodes pendant lesquelles al- rith l'emporte face aux
rois d'al- ra et s'installe même dans leur capitale.
Un premier groupe de traditions rapporte qu‘al- rith a envahi le Ir q
durant le règne du prédécesseur d‘al-Mundhir (qui règne 49 ans si l‘on en croit Ibn
al-Kalb , de c. 505 à 554). Le nom de ce prédécesseur fait débat. Ce pourrait être al-
. Ab ada l-
42
rithi l-maliki bni Amrin | la-hu mulku l- Ir qi ilà Um niṬ
74
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Nu m n (le père d‘al-Mundhir ou un homonyme) ou encore un roi nommé Ab
Ya fur b. Alqama qui s‘intercalerait entre le règne d‘al-Nu m n et celui d‘alMundhir.
D‘autres traditions prétendent que le règne d‘al-Mundhir fut interrompu
par celui d‘al- rith. Elles rapportent que le roi s s nide Qub d avait demandé à alMundhir, son gouverneur à al- ra et dans les territoires voisins, d‘embrasser
comme lui la doctrine de Mazdaq. Mais al-Mundhir avait refusé et avait été déposé.
al- rith, en revanche, qui avait accepté, avait reçu comme gratification le trône
d‘al- ra. C‘est seulement après l‘accession au trône d‘An shirw n — le fils et
successeur de Qub d — qu‘al-Mundhir avait pu rétablir sa situation. al- rith avait
alors été contraint de s‘enfuir et s‘était réfugié dans la tribu Kalb, en Arabie du
nord-ouest, abandonnant ses biens et 48 membres de sa famille qui furent
massacrés.
La mort d‘al- rith est toujours associée à Kalb, mais avec de nouvelles
divergences : il aurait été tué par la tribu Kalb, ou y serait décédé de mort naturelle,
ou encore aurait péri au cours d‘une chasse après avoir dévoré un foie brûlant.
Après tous ces récits de guerre entre al- rith et al-Mundhir, une dernière
donnée de la Tradition pourrait surprendre : al- rith donna sa fille Hind en
mariage à al-Mundhir, sans doute à une époque où les deux hommes entretenaient
de bonnes relations. Cette Hind est la mère du successeur d'al-Mundhir (appelé
Amr b. al-Mundhir, mais aussi Amr b. Hind). Elle était tenue en grande estime à
al- ra, malgré la brouille qui opposa la famille de son père à celle de son mari.
Elle y fonda un couvent qui portait sur sa façade une inscription arabe dont Y q t et
al-Bakr ont transmis une copie commençant ainsi :
« a construit cette église Hind fille d'al- rith bṬ Amr bṬ ujr la reine,
fille des rois et mère du roi Amr bṬ al-Mundhir, servante du Messie ṬṬṬ».43
Le caractère historique du roi al- rith al-Malik est incontestable parce
que les données de la Tradition arabo-islamique sont recoupées par une source
indépendante. L'ambassadeur byzantin Nonnosos que l'empereur Justinien (527565) envoya en Arabie et en Çthiopie après la conquête de imyar par les
Aks mites, probablement vers 540,44 mentionne dans son rapport que son grandpère — dont il ne donne pas le nom — avait déjà conclu une alliance au nom de
l'empereur Anastase (491-518) avec un chef arabe nommé Arethas :
« Justinien, à cette époque, régnait sur l’Empire romainṬ Le chef des
Saracènes était Kaïsos, descendant d’Arethas, qui avait été chef lui aussi,
et auprès de qui le grand-père de Nonnosos avait été envoyé en ambassade
par Anastase alors empereur, et il avait négocié une paix ».45
L'identité de cet Arethas ne fait pas de doute parce que son descendant,
Kaïsos, « est à la tête des Chindènes [Kinda] et des Maadènes [Ma add] ». Arethas
. Banat h dhihi l-bī a Hind bint al- rith bṬ Amr b.
umm al-malik Amr bṬ al-Mundhir amat al-Masī ...
44
. Voir ROBIN « à paraître ».
45
. Photios, Bibliothèque, 3 = HENRY 1959, p. 4.
43
ujr al-malika bint al-aml k wa-
Les rois de Kinda
75
est donc un chef kindite qui peut être identifié avec al- rith al-Malik b. Amr b.
ujr.
La « paix » évoquée par Nonnosos signifie qu‘Arethas se met au service de
Byzance et qu‘il reçoit des subsides en contrepartie de la fourniture de troupes
(cavaliers et chameliers). Elle signale également qu‘Arethas jouit d‘une grande
autonomie, puisqu‘il conclut directement un traité.
Une deuxième mention de cet Arethas se trouve probablement dans la
chronique de Jean Malalas, qui rapporte sa capture et son exécution :
« Cette année-là, il advint qu’un conflit éclata entre le duc de Palestine,
Diomède, silentiaire, et le phylarque Arethas. Arethas prit peur et se
dirigea vers le limes intérieur en direction du territoire indienṬ En
l’apprenant, Alamoundaros [al-Mundhir], le Saracène des Perses, attaqua
le phylarque des Romains ; il le captura et le tua, car il avait 30 000
hommes ».
Malalas ne précise pas qui est cet Arethas. Mais la suite du texte nous
apprend que ce n'est pas le Jafnide al- rith fils de Jabala, puisque ce dernier
participe à l'expédition punitive :
« En apprenant cela, l'empereur Justinien écrivit aux ducs de Phénicie,
d'Arabie et de Mésopotamie et aux phylarques des provinces de se porter
contre lui et de le poursuivre, avec son arméeṬ Partirent aussitôt Arethas le
phylarque, Gnouphas [probablement Jafna], Naaman, Denys, duc de
Phénicie, Jean, duc d’Euphratésie, et le chiliarque Sébastien avec leurs
troupes »Ṭ
En conséquence, l‘Arethas qui est tué est très probablement le chef kindite.
Malalas ne donne pas la date de sa mort, mais celle du retour de l‘expédition
punitive :
« Ils s’en retournèrent en territoire romain, victorieux, au mois d’avril de la
6e indiction ».46
L'expédition revient donc en avril 528. La mort d'Arethas se situe dans les
mois qui précèdent, probablement fin 527 ou début 528.
L'endroit où Arethas est capturé et tué n'est pas très clair. Le phylarque
(c‘est-à-dire le « chef de tribu ») s'enfuyait « vers le limes intérieur, en direction du
territoire indien ». L'une des interprétations de « territoire indien » peut être le
territoire de imyar : en effet l'Arabie se partage alors entre les Saracènes indiens
(= imyar), les Saracènes des Romains et les Saracènes des Perses. Mais il est
difficile de déterminer l'extension de imyar vers 527-528 : si au début du VIe
siècle, imyar s'étendait sans doute jusqu'aux oasis du ij z en Arabie du nordouest et jusqu'aux abords de l'Euphrate en Arabie du nord-est, après la conquête
aks mite, les choses ont vraisemblablement changé. Il est possible aussi que
« territoire indien » désigne tout simplement l'Arabie au-delà du limes.
. Malalas, XVIII.16 ; trad. JEFFREYS et alii 1986, p. 252. Voir aussi la version abrégée de la
chronique de Théophane le Confesseur, éd. DE BOOR, p. 179 ; trad. MANGO et alii, p. 271
(année du Monde 6021 ; année de l‘Incarnation 521). Concernant les dates de Théophane,
voir n. 48.
46
76
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
De manière très hypothétique, Arethas pourrait avoir été tué vers D mat
al-Jandal. Partant de Palestine — sans doute du sud de la Jordanie actuelle si on
suppose qu'il s'agit de la Palestine III —, Arethas avait le choix entre deux
directions : le sud-sud-est vers Tab k et Taym , ou l'est vers D mat al-Jandal.
Mais c'est seulement dans cette dernière oasis, à mi-chemin entre le golfe d'alAqaba et le Bas-Euphrate — qu'il était à portée d'Alamoudaros. Si Arethas a bien
été tué vers D mat al-Jandal, qui dépendait de Kalb,47 il y aurait ici un certain
accord avec la Tradition arabo-islamique qui associe Kalb à la mort d'al- rith.
Nonnosos et Malalas donnent d'Arethas un portrait bien différent de celui
de la Tradition arabo-islamique :
— c'est un allié majeur des Romains, ce qui lui vaut d'être appelé le
« phylarque des Romains » et d'être vengé par une expédition punitive ;
— la querelle qui l'oppose au duc de Palestine suggère qu'il est chez lui
dans cette province byzantine.
Il n'est nullement question de ses états de service dans l'empire s s nide.
La chronologie fait également difficulté. Nous avons vu que, selon
certaines traditions, c‘est An shirw n — le fils et successeur de Qub d — qui
chasse al- rith du trône d‘al- ra et le remplace par al-Mundhir. Or Khosraw
An shirw n ne serait associé au trône par son père que vers 528 ; quant à son règne,
il commence en 531.
Nombre de chercheurs du passé qui se sont intéressés à la chronologie des
rois de Kinda ont également identifié al- rith al-Malik avec un chef arabe nommé
Arethas qui conclurait une paix avec Byzance vers 502. À notre avis, cette
identification doit être abandonnée, de même que le repère chronologique qui en
découle.
La source est Théophane le Confesseur selon lequel, en 496-497,48 un
général romain défait et repousse de Palestine un chef arabe nommé Gabala. En
497, un autre chef arabe, Ôgaros, fils d'un certain Arethas, nommé « enfant de la
Thalabanê », est capturé avec de nombreux autres guerriers. Quatre années plus
tard, soit sans doute en 501, Badicharimos, « après la mort d'Ôgaros, son frère »,
lance des expéditions contre la Phénicie, la Syrie et la Palestine. Théophane laisse
ainsi entendre qu'Ôgaros est mort peu après sa capture, probablement en détention.
Enfin, l'année suivante, c'est-à-dire probablement en 502, « Anastase conclut un
traité avec Arethas, le père de Badicharimos et d‘Ôgaros, appelé (fils) de la
Thalabanê, et dès lors toute la Palestine, l'Arabie et la Phénicie jouirent de la
tranquillité et de la paix ».
47
. Voir L. VECCIA VAGLIERI, « D mat al-Jandal », dans Encyclopédie de l’Islam, deuxième
édition.
48
. Théophane date l‘événement de 5989 dans l‘ère du Monde (et implicitement de 490 dans
l‘ère de l‘Incarnation puisque 5989 correspond à la 6 e année du règne d‘Anastase qui
commence en 484 de l‘Incarnation). L‘équivalent dans notre comput serait 496-497 parce
que les deux ères utilisées par Théophane sont décalées d‘un peu plus de 7 ans (traduction
MANGO et alii, pp. lxiv-lxv ; voir aussi OLINDER 1927, pp. 53-54).
Les rois de Kinda
77
Les inscriptions imyarites indiquent que, vers la même époque, Mu ar est
sous la tutelle de imyar (et de Byzance) et que ses chefs s‘appellent les ban
Tha labat : la vraisemblance est donc grande que cet Arethas « enfant de la
Thalabanê» soit un Thaʻlabatide, non issu de Kinda, mais d‘une tribu d‘Arabie
occidentale, probablement Ghass n.49
4. Les fils d’al- rith al-Malik
Selon la Tradition arabo-islamique, après la mort d‘alfils se partagent le royaume. La répartition serait la suivante :
rith, ses quatre
— ujr b. al- rith : Asad et Kin na,
— Ma d karib b. al- rith : Qays Ayl n,
— Shura b l b. al- rith : Bakr b. W il et une partie de Tam m,
— Salama b. al- rith : Taghlib b. W il et al-Namir,
avec d‘importantes divergences entre les traditions, résultant en partie de
multiples révoltes et renversements d‘alliance.
Le conflit le plus aigu oppose Shura b l et Salama, qui règlent leurs
comptes lors de la première bataille de Kul b (le fameux yawm Kul b I de la
Tradition) ; Shura b l y perd la vie.50 Dès lors, le pouvoir kindite en Arabie centrale
se délite inexorablement. À la génération suivante, Imru al-Qays b. ujr, le célèbre
poète préislamique déjà évoqué, un petit-fils d‘al- rith, n'est plus qu'un proscrit
errant d'une tribu à une autre. 51 Les descendants de ujr kil al-mur r se réfugient
au a ramawt après une ultime bataille perdue, le yawm Jabala.
5. L’énigmatique Qays descendant d’al- rith (en grec Kaïsos,
descendant d’Arethas)
Les sources byzantines font un récit différent. Après la mort du Kindite
Arethas (al- rith al-Malik b. Amr b. ujr) vers la fin de 527 ou au début de 528
(voir ci-dessus), l'un de ses descendants, nommé Kaïsos [Qays], est le candidat de
Byzance pour la succession.
Nous disposons de deux sources différentes sur ce personnage. L‘historien
Procope nous éclaire sur le contexte politique et militaire en Arabie au moment où
Justinien envoie une ambassade en Çthiopie et en Arabie du Sud, au printemps
531.52 L'empereur enjoint à l‘ambassadeur Ioulianos d‘obtenir d‘Aks m et de
imyar qu‘ils s'engagent aux côtés de Byzance dans la guerre contre la Perse. Cet
ambassadeur a aussi pour instruction de demander au souverain imyarite
d'« établir (Kaïsos) comme phylarque sur les Maddènes ». Cette démarche nous
informe que, pour Byzance, imyar est toujours l‘autorité légitime en Arabie
centrale.
49
. ROBIN 2008, pp. 176-178.
. LYALL 1906.
51
. OLINDER 1927, pp. 70 et suivantes.
52
. Procope, Guerres, I.20.9 et suiv. ; BEAUCAMP 2010.
50
78
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Ce Kaïsos qui est issu d'« une famille de phylarques » est « extrêmement
doué pour la guerre ». C‘est sans doute pour cela que les Romains le choisissent.
Mais il présente un inconvénient sérieux : il est un « fugitif » (Kaison ton phygada),
en mauvais termes avec le roi imyarite dont il a « tué un des parents » de sorte
qu‘il vit « en exil sur une terre complètement vide d'hommes ».
La seconde source est le rapport d‘un autre ambassadeur, Nonnosos, qui
nous est connu grâce au résumé qu'en a rédigé le patriarche Photios.53 La Mission
de Nonnosos est postérieure à celle de Ioulianos : Kaïsos, « chef des Saracènes »
est alors « à la tête de deux tribus des plus en vue parmi les Saracènes, les
Chindènes et les Maadènes », c'est-à-dire Kinda et Ma add. Nonnosos nous indique
le lien de parenté qui relie Kaïsos à Arethas, « chef lui aussi » : il en est le
« descendant » (apogonos).
Un « traité de paix » lie Kaïsos à l'Empire. Il a été négocié par « le père de
Nonnosos, avant la désignation de ce dernier comme ambassadeur .... sur l'ordre de
Justinien ». Une clause de ce traité a été l'envoi du « propre fils de Kaïsos qui
s'appelait Mauïas ... auprès de Justinien à Byzance ».54
Quant à Nonnosos, il a pour mandat de « ramener si possible Kaïsos auprès
de l'empereur et (de) parvenir jusqu'au roi des Axoumites (Elesbaas était alors le
maître de cette peuplade) et, en outre, (de) pousser jusque chez les Amérites ».
Kaïsos ne se rend pas immédiatement aux raisons de Justinien. Il faut
« une seconde ambassade », dirigée cette fois par Abramês, le père de Nonnosos
pour que Kaïsos accepte de se rendre à Byzance, après avoir partagé « sa propre
phylarchie entre ses frères Ambros et Iezidos ». Il reçoit alors de l'empereur « le
commandement sur les Palestines ; il amenait avec lui beaucoup de ses sujets ».55
Nous apprenons ainsi que Kaïsos, « descendant » (et non fils) d'Arethas, a
des frères qui se nomment Ambros ( Amr) et Iezidos (Yaz d) et un fils qui s'appelle
Mauïas (Mu wiya).
Le gouvernement de ce Kaïsos / Qays, qui se situe au début du règne de
Justinien, dure suffisamment de temps pour que trois ambassades lui soient
envoyées. Il s‘achève par une émigration en Palestine, à une date inconnue, qui
pourrait se situer vers 540, au moment où la guerre entre Byzance et la Perse se
rallume.
L'identification de Kaïsos / Qays n'est pas facile. De longue date,56 on l'a
assimilé avec le Qays mentionné dans l‘une des célèbres « odes suspendues »
(mu allaq t), celle d‘al- rith b. illiza, poète issu de la tribu Bakr b. W il, qui
avait été choisi comme porte-parole dans un conflit porté devant le souverain
na ride Amr b. Hind (554-569). La partie adverse, la tribu Taghlib b. W il, avait
pour héraut le poète Amr b. Kulth m (le futur assassin du roi Amr).
Dans son poème, al- rith fait valoir les mérites de Bakr, notamment au
service des Na rides. Il rappelle ainsi le rôle joué par sa tribu dans la défaite d‘un
. Photios, Bibliothèque, 3 = HENRY 1959, pp. 4-5.
. ROBIN « à paraître ».
55
. Ce texte de Photios est cité in extenso ci-dessous, C. 2. « Les ban Kabsha ».
56
. Voir déjà CAUSSIN 1847-II, p. 92, n. 1.
53
54
Les rois de Kinda
79
certain Qays qui, à la tête de Ma add, attaqua les Na rides et fut écrasé à Thahl n,
en Arabie centrale, à quelque 300 km à l‘ouest de la moderne al-Riy :
« Ô toi qui nous calomnies auprès de Amr, mettras-tu un terme à tes
fausses imputations ?
Nous avons à sa bienveillance trois titres que personne ne saurait
nous contester.
L'un, nous l'avons acquis à l'orient de Shaqīqa,57 lorsque parurent
avec leurs drapeaux de nombreuses tribus issues de Ma add,
se pressant autour de Qays, fortes de la présence de ce héros du
Yémen, à l'aspect imposant »Ṭ
al- rith ne précise pas que Qays est un prince kindite. Mais deux indices
le laissent supposer : le fait que Qays soit à la tête de Ma add et l'étrange qualificatif
de kabsh qaraẓī, mot-à-mot « bélier tannifère », qui renverrait au Yémen — d‘où le
« héros du Yémen » dans la traduction de CAUSSIN DE PERCEVAL.58
Le problème est maintenant de savoir si on peut identifier Kaïsos / Qays
avec un personnage connu. Deux petits-fils d‘al- rith al-Malik ont été proposés.
a. Kaïsos identifié avec le poète Imru al-Qays b. ujr b. al- rith alMalik
Pour CAUSSIN DE PERCEVAL et nombre d‘autres chercheurs,59 le Kaïsos de
Procope et Nonnosos (identifié avec le Qays d'al- rith b. illiza) ne peut être que
le fameux poète Imru al-Qays b. ujr b. al- rith al-Malik. Deux arguments
plaident en ce sens : ils sont l'un et l'autre des petits-fils d'al- rith al-Malik et font
le voyage de Constantinople.60 Mais le nom ne correspond pas exactement :
GUNNAR OLINDER fait justement remarquer que l‘anthroponyme Imru al-Qays est
attesté en grec sous la forme Amorkesos.61
bṬ Kaïsos identifié avec Qays b. Salama b. al- rith al-Malik
Une solution qui paraît meilleure a été proposée par GUNNAR OLINDER :62
Kaïsos serait le prince nommé Qays b. Salama b. al- rith al-Malik qui guerroya
contre le na ride al-Mundhir si l'on en croit Y q t (entrée « Dayr Ban Mar n »).63
Il est possible aujourd'hui d'apporter quelques compléments à cette
hypothèse, grâce à la publication de nouvelles sources. Les généalogies d'Ibn al-
57
. Ce toponyme est inexpliqué. Il rappelle le nom de la mère ou de l‘aïeule du roi na ride alMundhir (voir ROBIN 2008, p. 185).
58
. ROBIN 2008, pp. 176 et n. 58. L'arabe qaraẓ signifie « feuilles du bois salam employées
dans la préparation des cuirs » (KAZIMIRSKI, qui ajoute : « Bil d al-Qaraẓ, surnom du
Yémen, de l'Arabie Heureuse).
59
. Voir en dernier lieu MUMAYIZ 2005.
60
. CAUSSIN 1847-II, pp. 302-303, 311-312.
61
. OLINDER 1927, p. 115 ; LETSIOS 1989.
62
. OLINDER 1927, pp. 114-117.
63
. OLINDER 1927, p. 117.
80
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Kalb confirment que Salama b. al- rith al-Malik a un fils nommé Qays.64 Quant à
Ibn ab b, il nous apprend incidemment que ce Qays a un frère appelé Yaz d —
tout comme Kaïsos en a un nommé Iezidos — dans une énumération des « grands
guerriers du Yémen » (al-jarr rūn min al-Yaman) : « ujr b. Yaz d b. Salama le
Kindite et Qays b. Salama le Kindite ».65 Salama aurait donc eu au moins trois fils :
Qays (Ibn al-Kalb dans CASKEL 1966-I, tabl. 238 ; Ibn ab b), M lik (Ibn al-Kalb
dans CASKEL 1966-I, tabl. 238) et Yaz d (Ibn ab b).
cṬ Kaïsos, issu des banū Kabsha ?
Une troisième identification de Kaïsos paraît possible : un membre des
ban Kabsha. Elle part du constat que le Kindite qui se révolte contre Abraha au
a ramawt en 547 s'appelle Yaz d b. Kabshat (Yzd bn Kbs²t). Or ce Yaz d peut être
identifié avec un frère de Kaïsos : Nonnosos nous apprend en effet que, avant son
départ pour Byzance, Kaïsos divise son pouvoir entre ses frères Ambros [ Amr] et
Iezidos [Yaz d].
À l'appui de cette hypothèse, on peut rappeler qu'al- rith b. illiza
qualifie curieusement son Qays de kabsh qaraẓī. Ce terme de kabsh pourrait être
une allusion à l‘appartenance aux ban Kabsha.
Cette hypothèse se heurte cependant à deux difficultés. Tout d'abord, les
ban Kabsha ne sont pas les descendants d'al- rith al-Malik, mais ceux de son
frère Imru al-Qays. Pour la retenir, il faudrait supposer que Nonnosos a employé
« descendant » [apogonos] dans un sens vague. Par ailleurs, Ibn al-Kalb ne
mentionne aucun Qays parmi les ban Kabsha (ci-dessous C.2. « Les ban
Kabsha »).
Dans l'état actuel de la documentation, il est difficile de trancher même si
l‘identification de Kaïsos avec Qays b. Salama b. al- rith al-Malik conserve un
léger avantage.
6. Les banū Amrum de l’inscription Muraygh n 1
L‘inscription Muraygh n 1 = Ry 506, qui porte la date de septembre 552
( - ln 662 im.) commémore une victoire d‘Abraha, « quand il a lancé contre
Ma addum une quatrième expédition, au mois de dh -th bat n (= avril), alors que
s‘étaient révoltés tous les ban Amrum ».66 Les opérations militaires sont décrites
de façon assez précise :
. CASKEL 1966-I, tabl. 238. Noter qu'al- rith al-Malik a également un fils nommé Qays,
mais ce Qays n'est pas un bon candidat à l'identification avec Kaïsos : on imagine mal
Nonnosos — qui a rencontré personnellement Kaïsos — qualifier ce dernier de
« descendant » d'Arethas s'il avait été son fils.
65
. Ibn ab b, al-Mu abbar, p. 252. OLINDER savait pourtant qu‘un cousin du poète Imru alQays b. ujr b. al- rith al-M lik s‘appelait Yaz d, et que ce Yaz d était peut-être un fils de
Salama (1927, pp. 108 — où ce Yaz d est appelé « Yaz d b. al- rith » — et 117).
66
. k- (z)yw 3 M dm zwtn rb tn b-wrẖn - btn k-qs¹dw kl bny- mrm.
64
Les rois de Kinda
81
« … le roi a envoyé Abīgabr avec Kiddat et Ula, et Bishrum fils de i num
avec 5 Sa dum et Mu[r dum] ; (ceux-ci) ont combattu à la tête de l’armée
contre les banū Amrum, Kiddat et Ula dans le w dī Mur kh, et Mur d um et
Sa dum dans le w dī 6 à l’aiguade de Tur b n, et ils ont massacré, fait des
prisonniers et pillé abondamment … ».67
JACQUES RYCKMANS avait proposé d‘identifié les bny- mrm avec une
grande tribu d‘Arabie occidentale : les ban
mir b. a a a.68 Cette hypothèse,
qui avait été acceptée unanimement depuis lors, notamment par A. F. L. BEESTON,
M. J. KISTER, ABD AL-MUN IM SAYYID ou MICHAEL ZWETTLER, avait conduit à
supposer que l‘armée d‘Abraha affrontait deux coalitions tribales et donc qu‘elle se
divisait en deux formations : les auxiliaires arabes (constituant eux-mêmes deux
colonnes) contre les ban
mir en Arabie occidentale et l‘armée royale contre
Ma add en Arabie centrale. Un argument convaincant semblait être qu‘une bataille
décisive se situait à mnhl Trbn, identifié avec le w d et la ville de « Turaba » à
130 km à l‘est d‘al- if. Or, selon al-Bakr , Turaba relevait des ban
mir b.
a a a.69
J‘ai démontré ailleurs70 que cette interprétation de Muraygh n 1 ne
s‘accordait pas avec les données du texte qui commémore explicitement une
expédition contre Ma addum à la suite de la révolte de « tous » les bny- mrm. Il n‘est
nullement question de deux coalitions tribales, mais d‘une seule (Ma add um) dont
les chefs (les bny- mrm) se révoltent. Il n‘y a pas deux théâtres d‘opérations, mais
un seul, comme l‘implique une seule mention de butin et de prisonniers. Les deux
colonnes formées par les auxiliaires arabes attaquent les bny- mrm qui subissent de
lourdes pertes de sorte que Ma addum se soumet et remet des otages. Cette
hypothèse s‘accorde avec une pratique rédactionnelle constante dans les
inscriptions du Yémen antique : une appellation commençant par bnw / bny désigne
toujours un lignage (qui se définit par la référence à un ancêtre réel ou fictif), mais
jamais une tribu, dont le nom n‘est jamais un anthroponyme.
Il reste à identifier qui sont ces bny- mrm. Ce sont évidemment les
descendants de Amr b. Mu wiya, le père de ujr kil al-mur r. Plusieurs
traditionnistes arabes appellent effectivement ban
Amr (ou ban
Amr b.
Mu wiya) la famille royale de Kinda. Il en va ainsi d‘Ibn al-Kalb qui intitule le
paragraphe dans lequel il traite des rois de Kinda « Voici les ban Amr b.
Mu wiya » ;71 on peut encore mentionner al-Bal dhur et al- asan al-Hamd n .72
67
. … w- ky mlkn bgbr b- m Kdt w- l w-Bs²rm bn- nm b- m 5 S¹ dm w-M(r)[dm ]w-(h )rw
qdmy gys²n ly bny- mrm Kdt w- l b-wd(.. )Mr(ẖ) w-Mrdm w-S¹ dm b-wd(.) 6 b-mnhl Trbn whrgw w- s³rw w- nmw - s¹m …
68
. RYCKMANS J. 1953, p. 341.
69
. al-Bakr , Mu jam, Entrée « Turaba » : « c‘est un lieu dans le pays des ban
mir » (wahuwa maw iʻ fī bil d banī ʻ mir).
70
. ROBIN « à paraître ».
71
. Nasab, p. 168 : wa-h ᾽ul ᾽i banū ʻAmr bṬ Muʻ wiyaṬ
72
. al-Bal dhur , Futū , p. 109 : « Se réunirent contre lui [Ziy d b. Lab d] les ban Amr b.
Mu wiya b. al- rith al-Kind » (wa-jumi a la-hu banū Amr bṬ Mu wiya b. al- rith al-
82
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Mais peut-on mettre des noms précis derrière l‘expression « tous les ban
Amrum » ? Le « tout » implique que plusieurs rameaux du lignage se sont révoltés.
Cela peut être les deux frères auxquels Kaïsos (Qays) a confié son domaine
(sources byzantines) quand il est parti vers les Palestines. On peut penser également
aux fils et aux petits-fils d‘al- rith al-Malik (Tradition arabo-islamique). On ne
saurait exclure enfin les l al-Jawn de la Yam ma ni même les ban Kabsha (du
a ramawt ?) (voir ci-dessous C.1 et C.2).
Les indices dont nous disposons ne permettent pas de trancher. On peut
supposer que les frères de Kaïsos et au moins un descendant d‘al- rith al-Malik
(le poète Imru al-Qays b. ujr b. al- rith) sont engagés de façon plus ou moins
déterminée dans l‘alliance byzantine, tout comme Abraha. En sens inverse, il ne
faut pas oublier que les descendants d‘al- rith al-Malik sont apparentés à Amr,
le fils du na ride al-Mundhir et le petit-fils d‘al- rith par sa mère Hind. Or Amr
b. Hind (ou b. al-Mundhir), qui succède en 554 à son père, a apparemment joué un
rôle important dans les affaires de l‘Arabie déserte avant son accession au trône. On
rapportait par exemple qu‘il avait patronné un traité de paix entre Bakr et Taghlib
au marché de dh l-Maj z, à 35 km à l'est de Makka.73 Par ailleurs, Abraha, dans
les deux inscriptions qu‘il grave à Muraygh n, se félicite d‘avoir expulsé ‗Amr b.
al-Mundhir de l‘Arabie centrale.74 Il est vraisemblable que la parenté qui liait Amr
aux ujrides ont conduit certains de ces derniers à s‘allier aux Na rides et, par leur
intermιdiaire, aux S s nides.75
Mais, si certains princes sont plutôt alignés sur Byzance et d‘autres sur la
Perse, rien n‘interdit de supposer que des lignes de fracture existent également à
l‘intérieur de chaque coalition.
C. Les rameaux secondaires
Plusieurs rameaux secondaires des
rôle dans les affaires de l‘Arabie déserte.
ujrides jouent également un certain
Kindī) (traduction HITTI, p. 153) ; al-Hamd n , al-Iklīl VIII, p. 90 : « Tar m est l‘endroit des
rois issus des ban Amr b. Mu wiya » (wa-Tarīm, maw i al-mulūk min banī Amr bṬ
Mu wiya) (idem dans al-Bakr , Mu jam, « Tar m », p. 311) ; al-Hamd n , Sifa, 88 / 2589 / 1-2 : « ce sont les ban Mu wiya b. Kinda dont sont issus les rois portant le diadème
(mutawwajūn), soixante-dix dit-on, les premiers, Thawr et Murti , les deux fils de Amr b.
Mu wiya, et le dernier, al-Ash ath b. Qays al-Kind b. Ma d Karib ». Dans ce dernier texte,
la formulation d‘al-Hamd n est inexacte : si Thawr et Murti (ou Muratti ) sont
effectivement les premiers rois de Kinda, ils ne sont pas « les deux fils de Amr b.
Mu wiya », mais deux ancêtres (voir CASKEL 1966-I, tableau 233). Voir aussi al-Hamd n ,
ifa, 88 / 24.
73
. LECKER 2005-XI, p. 39.
74
. Muraygh n 1 = Ry 506 (réinterprétée dans ROBIN « à paraître ») et Muraygh n 3.
75
. Voir l‘histoire du ujride Ab l-Jabr b. Amr b. Yaz d b. Shura b l b. al- rith al-Malik
qui sollicite l‘aide de Kisrà (le suzerain des Na rides) pour lutter contre d‘autres ujrides (cidessous, C.5. « Autres Kindites occupant des positions élevées »).
Les rois de Kinda
83
1. Les l al-Jawn76
Le domaine de ujr kil al-mur r aurait été partagé entre ses deux fils,
Amr al-Maq r, qui aurait joui de la primauté, et Mu wiya al-Jawn auquel aurait
échu la Yam ma. Les l al-Jawn règnent sur la Yam ma jusqu‘à leur expulsion
d‘Arabie centrale, après la bataille de Jabala (yawm Jabala), et se replient au
a ramawt.
2. Les banū Kabsha77
Amr al-Maq r (fils de ujr kil al-mur r) aurait eu deux fils, al- rith
al-Malik et Imru al-Qays. Les descendants de ce dernier sont appelés ban Kabsha,
d‘après le nom de leur mère.
L‘un d‘entre eux, appelé Ibn Kabsha, est mentionné dans plusieurs
fragments poétiques se rapportant à la bataille de dh Najab (yawm dhū Najab), qui
serait postérieure d‘une année à la bataille de Jabala (qui mit fin au règne des l alJawn en Arabie centrale). Cet Ibn Kabsha, dont le nom complet serait ass n b.
Kabsha, ou ass n b. Mu wiya b. ujr, serait « l‘un des rois du Yémen » ou un
« roi de Kinda ».78
C‘est à ce même lignage qu‘appartient Yaz d b. Kabsha (Yzd bn Kbs²t),
gouverneur (ẖlft) qu‘Abraha aurait nommé à la tête de Kinda et qui se révolte en
547 (CIH 541 / 10-11, daté de mars 548).
Il semblerait donc, même si la Tradition n‘en fait pas mention de façon
explicite, que, vers le milieu du VIe siècle, le pouvoir sur la Kinda du Yémen soit
exercé par les ban Kabsha. L‘accession de ceux-ci au pouvoir peut être mise en
relation avec une information transmise par l‘ambassadeur byzantin Nonnosos :
« Kaïsos [Qays], après une seconde ambassade d'Abramês auprès de lui,
vint à Byzance ; il partagea sa propre province (phylarchie) entre ses
frères Ambros [ Amr] et Iezidos [Yazīd] et il reçut lui-même de l'empereur
le commandement sur les Palestines ; il amenait avec lui beaucoup de ses
sujets ».79
Une identification de « Iezidos » avec Yaz d b. Kabsha n‘est nullement
exclue malgré les difficultés que cette hypothèse soulève (ci-dessus, B.5.
« L‘énigmatique Qays descendant d‘al- rith »).
3. Les banū Walī a 80
À la veille de l‘Islam, les membres de cette dynastie semblent jouir de la
primauté sur Kinda. Ils descendent d‘al- rith al-Wall da (b. Amr b. Mu wiya),
le frère de ujr kil al-mur r (Tableau 3).
76
. OLINDER 1931.
. CASKEL 1966-I, tableau 238.
78
. OLINDER 1931, pp. 225-228. Se fondant sur la généalogie d‘Ibn Kabsha, OLINDER confond
les lignages de Kabsha et d‘al-Jawn (comme le fait ensuite KISTER, à propos d‘Ab l-Jabr).
79
. Photios, Bibliothèque, par. 3.
80
. CASKEL 1966-I, tableaux 238 et 239 ; Lecker 1994, pp. 336-337.
77
84
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Les sources mentionnent quatre frères (Mikhwas, Mishra , Ab u a et
Jamd) qui se seraient rendus auprès de Mu ammad à Médine, auraient apostasié et
auraient été tués.
« Les banū Amr bṬ Mu wiya b. al- rith al-Kindī se rassemblèrent pour
le [Ziy d bṬ Labīd] combattreṬ Ce dernier, à la tête des musulmans, les
attaqua durant la nuit et en tua beaucoup, parmi lesquels se trouvaient
Mikhwas, Mishra , Jamd et Ab u a fils de Ma dī Karib bṬ Walī a bṬ
Shura bīl bṬ Mu wiya bṬ ujr al-Qarid (qarid dans leur dialecte signifie
une « personne généreuse ») b. al- rith al-Wall da bṬ Amr bṬ Mu wiya
b. al- rithṬ Ces quatre frères étaient en possession de si nombreuses
vallées qu’ils étaient appelés Ḏles quatre roisḏṬ Avant cela, ils s’étaient
présentés eux-mêmes devant le Prophète, mais avaient apostasié par la
suite ».81
4. Les banū Jabala82
Ils sont issus de Mu wiya al-Akram n (b. al- rith al-A ghar b.
Mu wiya b. al- rith al-Akbar ; voir Tableau 3). Trois se succèdent au pouvoir :
Ma d karib, son fils Qays et son petit-fils al-Ash ath,83 ce dernier contemporain de
Mu ammad.
al-Ash ath et ses descendants jouent un rôle politique important dans
l‘Empire islamique. Son petit-fils, Ibn al-Ash ath,84 prend en 699-702 la tête d‘une
révolte contre al- ajj j qui ébranle le trône de l‘umayyade Abd al-Malik.
5. Autres Kindites occupant des positions élevées
a. Abīgabr ( bgbr), qui commande une colonne de l’armée d’Abraha85
L‘armée d‘Abraha chargée de réprimer la révolte des ban Amr en 552
comporte deux colonnes. Le commandant de la première, Ab gabr (ci-dessus B.6.
« Les ban Amr de l‘inscription Muraygh n 1), est à la tête des contingents de
Kinda et de Ula. Le texte n‘indique pas explicitement qu‘Ab gabr est kindite, mais
. al-Bal dhur , Futū (éd. Ri w n, p. 109 ; trad. itti, pp. 153-154) : wa-jama a la-hu banū
Amr bṬ Mu wiya b. al- rith al-Kindī fa-bayyata-hum fī-man ma a-hu min al-muslimīn faqatala min-hum basharan fī-him Mikhwas wa-Mishra wa-Jamd wa-Ab u a banū Ma dī
Karib bṬ Walī a bṬ Shura bīl bṬ Mu wiya bṬ ujr al-Qarid « wa- l-qarid » al-jaw d fī
kal mi-him b. al- rith bṬ [sic.] al-Wall da bṬ Amr bṬ Mu wiya b. al- rith wa-k nat lah ul i l-ikhwa awdiya yamlikūna-h fa-summū l-mulūk al-arba aṬ wa-k nū wafadū alà
l-nabī thumma rtaddūṬ
82
. CASKEL 1966-I, tableaux 234, 235 et 236 ; LECKER 1995, pp. 639-642.
83
. Voir aussi H. RECKENDORF, « al-Ash ath », dans Encyclopédie de l’Islam, deuxième
édition.
84
. Voir L. VECCIA VAGLIERI, « Ibn al-Ash ath », dans Encyclopédie de l’Islam, deuxième
édition.
85
. KISTER 1965, pp. 434-436 ; voir aussi CASKEL 1966-II, p. 251 ; GAJDA 2009, p. 141.
81
Les rois de Kinda
85
c‘est une possibilité. La Tradition arabo-islamique connaît en effet deux Kindites
nommés Ab Jabr ou Ab l-Jabr :
— Ab l-Jabr b. Amr b. Yaz d b. Shura b l b. al- rith al-Malik b. Amr
al-Maq r b. ujr kil al-mur r b. Amr b. Mu wiya (CASKEL 1966-I, tableau
238 ; ci-dessous, Tableau 3).
C‘est avec lui que M. J. KISTER propose d‘identifier le bgbr d‘Abraha.
Ab l-Jabr appartenait à la famille royale kindite. En conflit avec certains membres
de cette dernière, il aurait sollicité l‘aide de Kisrà, le souverain s s nide,86 qui lui
aurait accordé une petite force prélevée sur ses troupes montées (al-As wira). À
peine arrivés dans le désert, ces hommes, pour rentrer chez lux au plus vite, auraient
mis du poison dans sa nourriture. Ab l-Jabr, affaibli par la souffrance, les aurait
laissé partir et leur aurait même donné une lettre de congé. Il aurait finalement
survécu au poison, serait allé se faire soigner à al- if, mais serait mort peu après.
al-Hamd n mentionne incidemment ce personnage à propos d‘une
bourgade du a ramawt : « Yatrab, ville au a ramawt dans laquelle Kinda
s‘installa ; Ab l-Jabr [dans le texte Ab l-Khayr] b. Amr y résida ».87
— Ab l-Jabr b. Wahb b. Rab a b. Mu wiya (al-Akram n) b. al- rith
al-A ghar b. Mu wiya (CASKEL 1966-I, tableau 237 ; ci-dessous, Tableau 3).
Il reste à examiner si l‘un de ces deux Ab l-Jabr est un candidat sérieux à
l‘identification avec bgbr. Le premier se situe à la 8e génération après l‘ancêtre
commun (Mu wiya) et le second à la 5e. Le premier, si sa généalogie est exacte, est
un arrière-petit-fils du prince Shura b l b. al- rith al-Malik, qui meurt au combat
lors du premier yawm Kul b (probablement postérieur à 528, date de la mort d‘alrith al-M lik). Son grand-père Yaz d appartient à la même génération que le
grand poète Imru al-Qays (b. ujr b. al- rith al-Malik). Il semble donc peu
vraisemblable que cet Ab l Jabr ait l‘âge de commander une armée en 552. Le
second, en revanche, appartient à la même génération que le prince Shura b l b. alrith al-Malik. Il peut être un homme d‘âge mûr en 552.
On peut ajouter que le premier Ab l-Jabr descend de Amr b. Mu wiya
(le père de ujr kil al-mur r), tandis que le second est issu d‘un frère de ce même
Amr (qui s‘appelle al- rith b. Mu wiya) dont descendent également les derniers
rois de Kinda à l‘époque de Mu ammad.
Ab l-Jabr b. Wahb b. Rab a b. Mu wiya (al-Akram n) apparaît comme
un meilleur candidat à l‘identification avec bgbr, le chef des Kindites de l‘armée
d‘Abraha pour des raisons chronologiques et parce qu‘il n‘appartient pas aux ban
Amr b. Mu wiya (identifiés aux bny- mrm) qu‘il est chargé de combattre.
b. Abd al-Masī bṬ D ris al-Kindī, gouverneur ( qib) de Najr n
86
. Selon CASKEL, Khosraw I (531-579).
. ifa, p. 87 / 12-13 : wa-Yatrab madīnat bi- a ramawt nazalat-h Kinda wa-k na bi-h
Abū l-Jabr b. Amr. Voir aussi al-Hamd n , al-Iklil II, p. 18, et al-Iklīl VIII, p. 90 (qui
précise qu‘Ab l-Jabr demande l‘aide de Kisrà contre les ban l- rith b. Amr b.
Mu wiya, à savoir les descendants d‘al- rith al-Wall da, le frère de ujr kil al-mur r) ;
Lecker 1994, p. 336 et nn. 4 et 8.
87
86
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Il faut encore mentionner le Kindite gouverneur ( qib) de Najr n à
l'époque de Mu ammad. Selon la Vie exemplaire d'Ibn Hish m, la délégation des
Najr nites qui se rend auprès de Mu ammad à al-Mad na est conduite par trois
personnages importants : le qib, investi de l'autorité politique ; le sayyid, en
charge du commerce et des affaires locales ; enfin l'évêque, chef de l'Çglise et
responsable de l'enseignement. Les diverses traditions s'accordent sur le nom du
qib, un Kindite manifestement chrétien : Abd al-Mas b. D ris al-Kind .88 Le
nom de ce personnage n'apparaît pas dans les généalogies de Kinda : on ignore donc
de quelle fraction il est issu. Le qib est d'ordinaire le représentant d'un pouvoir
central. Même si nos sources ne le disent pas, Abd al-Mas b. D ris pourrait être,
à Najr n, l'agent du pouvoir s s nide qui domine le Yémen depuis les années 570.
Le fait qu'un Kindite soit investi de hautes responsabilités à Najr n peut être mis en
relation avec l'appartenance de Madh ij à un ensemble tribal dominé par Kinda
(voir ci-dessus A.2. « Les ban Badd »).
cṬ Ukaydir bṬ Abd al-Malik al-Sakūnī 89
L‘inventaire ne serait pas complet si je ne mentionnais pas encore Ukaydir
b. Abd al-Malik al-Kind al-Sak ni qui, en 9 de l‘hégire, régnait sur l‘oasis de
D mat al-Jandal. Ukaydir appartenait à la fraction d‘al-Sak n appelée ban
Shuk ma (ou ban Gh ira d‘après le nom de leur mère). 90 La tradition s‘accorde à
le considérer comme chrétien. On ignore comment il est devenu le maître de
l‘oasis.91 Peut-être fut-il à la tête d‘une troupe de mercenaires au service de
Byzance ou des S s nides et sut-il tirer parti des désastres militaires des uns et des
autres pour se tailler un domaine personnel en Arabie du Nord. Il est en tout cas le
seul prince kindite qui n‘appartienne pas à la fraction Mu wiya.
La plupart de ces princes sont appelés « rois » : il ne faut pas accorder trop
d‘importance à ce titre. Comme le remarque le texte d‘al-Bal dhur déjà cité (cidessus C.3. « Les ban Wal a »), il suffit d‘être en possession de « nombreuses
vallées » pour être reconnu comme tel. Ces rois sont avant tout des chefs de tribu.
Si l‘autorité de certains peut s‘exercer sur un vaste territoire, c‘est en tant que
gouverneur ou représentant d‘un véritable souverain (celui de imyar ou d‘al- ra).
88
. CAETANI 1907 (Annali dell'Islam, II / I), p. 350 ; Massignon 1943, p. 12. Il convient donc
de distinguer le qib Abd al-Mas h du prince homonyme de Najr n appartenant aux l
Abd al-Mad n, qui reçoit al-A shà.
89
. Voir L. VECCIA VAGLIERI, « D mat al-Jandal », dans Encyclopédie de l’Islam, deuxième
édition ; CASKEL-1966, I, tableau 241, et II, p. 566-567.
90
. Ibn al-Kalb , Nasab Ma add, p. 190.
91
. On ne saurait exclure qu‘al- rith al-M lik ait dominé l‘oasis (comme le suppose CASKEL
1966-II, p. 329), mais ceci n‘explique nullement la présence d‘un prince kindite près d‘un
siècle plus tard.
Les rois de Kinda
87
Tableau 3
Les dynasties royales de Kinda
Kinda (Thawr)
_______________________________________________
Mu wiya
Ashras
_________________________
Amr (Muratti )
al-Sak n
al-Sak kik
Thawr
Mu wiya
Tuj b
al- rith al-Akbar
_____________________________________________
Mu wiya
Wahb
Badd
___________________________________
banū Badd
al- rith al-A ghar
Amr
___________________________________________
Mu awiya al-Akram n
ujr kil al-mur r (425-450 ?)
al- rith al-Wall da
UJRIDES / banū Amr b. MU AWIYA
___________________________________________
Amr al-Maqṣūr (450-470 ?)
Mu wiya al-Jawn
l al-JAWN
___________________________________________________
al- rith al-Malik (c. 470-528)
Imru l-Qays ép. Kabsha
_________
banū KABSHA
Wahb Ad
________________________________________
Abū l-Jabr
Shura b l Ma d karib Salama Qays
ujr
Qays
Imru al-Qays (poète)
banū JABALA
Abū l-Jabr
Ma d karib
Qays
al-Ash ath (Ridda)
Mu ammad
Abd al-Ra m n / Ibn al-Ash ath (insurrection de 699-702)
banū WALI A
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
88
D. Les rois légendaires
Les cinq descendants en ligne directe de Mu wiya b. Kinda (Thawr)
(Tableau 3) sont eux aussi considérés par les traditionnistes comme des « rois ».
Kinda, originaire du a ramawt, aurait été contrainte à l'exil, à la suite
d'une défaite. Elle se serait alors réfugiée au cœur de l‘Arabie déserte, dans le pays
de Ma add, à Ghamr dh Kinda, à deux jours de marche de Makka. C'est au cours
de cette migration que la tribu se serait donné un roi pour la première fois.
Si l'on en croit al-Ya q b , cinq rois se succéderaient alors en ligne directe
à la tête de Kinda : de père en fils, Murti b. Mu wiya b. Thawr (auquel on attribue
un règne de 20 ans), Thawr b. Murti , Mu wiya b. Thawr, al- rith al-Akbar b.
Mu wiya (40 ans) et Wahb b. al- rith (20 ans). C'est alors qu'une nouvelle
branche accéderait au pouvoir. 92
al- rith al-Akbar, le père du dernier roi de cette dynastie, est
manifestement un personnage-clé dans l‘histoire de Kinda puisque toutes les
dynasties historiques prétendent descendre de lui.
Tableau 4
Kinda dans la descendance de Qa
QA
n
AN
SABA
Kahl n
Udad
________________________________________________________
Julhuma ( AYYI )
Murra
M lik [MADH IJ]
Nabt (AL-ASH
rith
al-
________________________________________________
Lam s Sa d al- Ash ra
Jald Yu bir(MURAD) Zayd ( Ans)
Ad
______________________________________________
al- rith [ʻ MILA] Ufayr Amr (JUDHAM) M lik (LAKHM)
Thawr (KINDA)
92
. OLINDER 1927, pp. 34-35, 38.
AR)
ULA
Amr
Ka b
AL- ARITH
Les rois de Kinda
89
E. LES UJRIDES ET LEURS SUZERAINS IMYARITES
Pour préciser ce que fut le royaume kindite et la chronologie de ses rois, il
faut encore examiner ce que nous savons de la domination imyarite sur l‘Arabie
déserte.
1. Les suzerains imyarites mentionnés par la Tradition arabo-islamique
Les traditionnistes savent parfaitement que les « rois » kindites ne sont pas
de véritables souverains, mais de simples agents des rois imyarites. Pour être plus
précis, cette dépendance des princes de Kinda par rapport aux rois de imyar n‘est
soulignée que par une partie de la Tradition, celle que G. OLINDER appelle la
« tradition sud-arabique ». En revanche, selon les informateurs originaires de la
grande tribu de Bakr en Arabie du Nord-Est, cette tribu et ses rois kindites agiraient
indépendamment, sans avoir besoin du soutien de imyar ou de la Perse.93 Le
célèbre compilateur des « Combats des Arabes » (Ayy m al- Arab), cependant,
n‘est pas dupe : il se rend compte que les princes ujrides ne sont pas de vrais rois,
mais de simples « possesseurs de biens » (dhawū amw l).94
Les traditions sudarabiques rapportent que les rois kindites sont placés sur
le trône par des souverains imyarites dont elles donnent parfois le nom. On relève
notamment que :
— ujr est intronisé par Tubba , ass n b. Tubba ou Tubba b. Karib ;
— Amr reçoit le soutien de Marthad b. Abd Yankuf ; on rapporte
également qu'il est au service de ass n b. Tubba puis de Amr b. Tubba ;
— al- rith est investi par son oncle maternel Tubba b. ass n b. Tubba
b. Malk karib b. Tubba al-Aqran ou bien par un usurpateur nommé uhb n b. dh
arb (le successeur de Amr b. Tubba ).
Parmi ces noms, certains peuvent être identifiés de manière assurée ou
vraisemblable (Tableau 6). Il est sûr que ass n b. Tubba est aśś n Yuha min
fils d‘Ab karib As ad. Tout d‘abord aśś n est le seul souverain connu à porter ce
nom. Par ailleurs Tubba est le surnom habituel d‘Ab karib As ad (c. 375-c. 445). Il
semblerait que aśś n accède brièvement au trône vers 445-450.
Tubba est probablement Ab karib As ad comme je viens de le dire, mais il
n‘est pas exclu que ce soit n‘importe lequel des rois de la dynastie imyarite
puisque tous peuvent être surnommés ainsi.
Tubba b. Karib est vraisemblablement Ab karib As ad b. Malk karib
Yuha min, avec une graphie amputée du patronyme.
Amr, selon les traditions, serait un frère de ass n. Il aurait assassiné ce
dernier pour être roi à sa place. Une identification avec Shuri bi l Ya fur fils
d‘Ab karib As ad et frère de aśś n, qui règne de c. 450 à c. 468, semble plausible.
93
. OLINDER 1927, pp. 21-23.
. LECKER 2003, pp. 57, n. 103.
94
90
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Le nom de Marthad b. Abd Yankuf ne correspond à aucun roi connu. Tout
au plus peut-on observer que le successeur de Shuri bi l Ya fur s‘appelle
Shuri bi l Yakkuf (arabe Yankuf). Ce dernier fonde une nouvelle dynastie qui
règne une vingtaine d‘années. Lui-même occupe le trône de c. 468 à c. 480. Quant à
Marthad, ce nom se retrouve dans celui de deux rois, Marthad il n Yun im petit-fils
de Shuri bi l Yakkuf (c. 480-485) et Marthad il n Yan f (c. 500-c. 515), mais rien
n'autorise une identification. Il reste enfin uhb n b. dh arb dont on ne sait rien.
Le seul souverain imyarite qui jette quelque lumière sur la chronologie
est aśś n. ujr kil al-mur r est intronisé par lui. Amr b. ujr est à son service
et à celui de son frère. Enfin al- rith b. Amr b. ujr est investi par un fils de
aśś n.
aśś n est apparemment le fils aîné d‘Ab karib As ad qui disparaît vers
445 à un âge très avancé. Il commence donc sa carrière bien avant cette date.
L‘installation de ugr kil al-mur r peut donc intervenir à une date quelconque
pendant la première moitié du Ve siècle. De façon hypothétique, nous situons le
règne de ujr (23 ans selon al-Ya q b ) entre 425 et 450.
Amr al-Maq r serait le contemporain de aśś n et de Shuri bi l Ya fur
(= le roi imyarite Amr). Son règne peut être placé vers 450-470. Enfin, si nous
faisons commencer le règne d‘al- rith al-Malik vers 470, ceci s‘accorde avec le
fait que ce prince soit investi par un fils de aśś n et qu‘il gouverne pendant soit 40
ans soit 60 (selon les sources).
2. Les expéditions imyarites en Arabie déserte
Pour mieux appréhender ce que fut le pouvoir des Kindites sur l‘Arabie
déserte, il faut analyser maintenant le point de vue imyarite.
Le royaume de imyar commence à s‘immiscer dans les affaires de
l‘Arabie déserte vers 345, peu après la conquête du a ramawt. Je vais présenter
les phases que l‘épigraphie nous révèle en me référant au souverain régnant (voir
Tableau 6).
a. Tha r n Yuhan im (c. 324-c. 375)
Le texte le plus ancien 95 — c‘est aussi le plus long et le plus détaillé,
même s‘il est en partie illisible — relatant des expéditions imyarites dans l‘Arabie
déserte date du règne de Tha r n Yuhan im. Ce n‘est pas le roi lui-même qui en est
l‘auteur, mais un prince du a ramawt (Malsh n Aryam dhu-Yaz an) qui
commémore notamment ses exploits ainsi que ceux de ses fils (Khawliyum,
Shuri bi l, Ma d karib et Marthadum) et d'un petit-fils (Bar lum fils de Ma d karib).
Malsh n est le fondateur d'une principauté qui, sous la tutelle des souverains
imyarites, va dominer le Yémen oriental pendant près de trois siècles.
L'inscription, qui porte la date de juin 360 (dhu-madhra n 470 de l'ère
imyarite), se compose de deux parties. La première relate douze campagnes
militaires que dirigent ou auxquelles participent les Yaz anides. La seconde détaille
95
. Abad n 1.
Les rois de Kinda
91
une longue liste de constructions ou d'aménagements réalisés pendant la même
période.
Ce sont les campagnes militaires qui nous intéressent ici. Elles sont
dirigées contre Akkum (littoral septentrional du Yémen sur la mer Rouge,
campagne n° 11) ; Sahrat n (versant occidental des montagnes du Yémen et du
As r, campagnes n° 2 et 10) ; Mahrat (extrême-est du Yémen, campagnes n° 4, 5 et
9) et Yabr n (Arabie orientale, à 250 km au sud-ouest de l'actuel Qa ar, campagne
n° 4) ; Asd n (al-Asd ou al-Azd, dans le As r, campagne n° 7) ; Iy dhum (Iy d,
tribu de l‘Arabie du nord-est dont le sayyid est capturé, campagne n° 6) ; enfin
l'Arabie centrale (campagnes n° 8 et 12) — je vais revenir sur ces 6e, 8e et 12e
campagnes.
On peut supposer que la dernière campagne (n° 12) est juste antérieure à la
date de l'inscription, 360. Pour estimer combien de temps sépare la première et la
dernière campagne, nous ne disposons que d'indications indirectes : l'inscription
donne la liste des princes qui conduisent chaque campagne et signale si un prince
participe aux combats pour la première fois (tbkr) ou s'il vient de quitter le service
armé (h qf). Or la 1e campagne est dirigée par Malsh n et son fils Khawliyum qui
participe à une expédition pour la première fois ; or ce même Khawliyum cesse de
porter les armes lors de la 11e campagne. L'inscription indique encore que
Ma d karib et Marthadum entrent dans le service actif à l'occasion de la 5e et de la 6e
campagne respectivement. Enfin, Shuri bi l, le deuxième fils de Malsh n, se retire
du service actif lors de la 12e campagne, à laquelle participe pour la première fois
un fils de Ma d karib (Bar lum b. Ma d karib).
1
3
5
6
11
12
Malsh n *Khawliyum*
Khawliyum
Malsh n Khawliyum
Khawliyum
#Khawliyum#
*Shuri bi l*
Shuri bi l
Shuri bi l
Shuri bi l
#Shuri bi l#
*Ma d karib*
Ma d karib
*Marthadum*
Ma d karib
Ma d karib
Marthadum
um
+ *Bar l * fils de Ma d karib
** Participation à une campagne pour la première fois
## Fin du service armé
Il s'écoule donc un laps de temps un peu supérieur à une génération entre la
1ère et la 12e campagne, soit une trentaine d'années.
L'inscription de Abad n jette quelque lumière sur les rapports entre une
principauté dirigée par des princes (qayl) et le souverain. Il est notable que ce
dernier ne soit pas invoqué à la fin de l'inscription, comme c'est la règle : les princes
Yaz anides se considèrent sans doute comme les égaux du roi.96 Huit des douze
. L‘absence d‘invocation au roi se trouve surtout dans les inscriptions des Yaz anides : voir
96
92
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
campagnes sont conduites par les Yaz anides, sans aucune allusion à une injonction
du souverain. Dans les quatre dernières, cependant, il est explicitement signalé que
les Yaz anides combattent sous ses ordres. C'est le roi Tha r n Yun im en personne
qui commande les 2e et 7e campagnes, dirigées contre Sahrat n et le Pays d'Asd n ;
ce sont les « rois » Tha r n Ayfa et Dhamar al Ayfa — personnages mal
identifiés qui seraient des parents de Tha r n Yun im déjà âgé — dans les 10e et 11e
campagnes (à nouveau contre Sahrat n et contre Akkum). Il est remarquable que les
quatre campagnes royales ne dépassent pas la périphérie du Yémen. Les aventures
lointaines sont commandées par les seuls Yaz anides.
Il reste à examiner les 6e, 8e et 12e campagnes qui se déroulent en Arabie
déserte, au-delà des régions proches du Yémen. Elles peuvent être datées
respectivement de c. 345, de c. 350 et des années qui précèdent 360.
La 6e campagne, dont le texte est incomplet, est dirigée par les princes
um
Khawliy , Shuri bi l et Maʻd karib, auxquels se joint Marthadum qui part au
combat pour la première fois. Les forces mobilisées sont fournies par « [... ...],
Mur dum, Mashriq n, ayfat n et les Arabes du a ramawt ».97 Lors d'un
engagement dont le détail est perdu « Khawliyum capture Tha labat b. Sal lum
sayyid de Iy dhum » ;98 on observera que, dans la généalogie d‘Iy d transmise par
Ibn al-Kalb , un personnage se nomme justement Tha labat b. Sal l,99 sans grand
risque d‘homonymie du fait de la rareté du patronyme. 100 L'énumération du butin se
termine avec la mention de 2 500 chameaux et de 9 chevaux (capturés ou tués).
Deux indices suggèrent que cette campagne se déroule en Arabie du centre ou du
nord-est : la mobilisation d'auxiliaires arabes (Mur dum et les Arabes du
a ramawt) — or seules les 6e et 12e campagnes mentionnent de tels auxiliaires —
et la capture du chef d'une grande tribu dont l‘habitat est proche du Bas-Euphrate.
La 8e campagne est placée sous le commandement de « Khawliyum et de
ses frères, les fils de Malsh n ». Les forces mobilisées proviennent de la commune
des Yaz anides (Mashriq n et ayfat n), de Marib, de la commune Shadd dum et de
la commune Khawl n dhu- ab b ; elles comptent 300 cavaliers. Les Yaz anides
ont pour objectif Gaww n (arabe al-Jaww) et Kharg n (arabe al-Kharj).
L'identification de Kharg n avec la ville d'al-Kharj à 80 km au sud-est de la
moderne al-Riy dans le Najd est assurée. Quant à Gaww n, ce peut être une
bourgade de l'oasis d'al-Kharj, mais d'autres identifications sont possibles. La
conviction que cette campagne se déroule bien en Arabie centrale est confirmée par
la mention de Ma add : les Yaz anides « combattent ms¹n H̲rgt et une tribu de
MAFRAY-Ab Thawr 4 (juin 486) ; MAFYS- ura 3 = RES 4069 (août 488), BRYanbuq 47 (avril 515). Dans RES 5085 (octobre 450), les Yaz anides invoquent « leurs
seigneurs les rois, maîtres de Rayd n » (w-b-rd mr -hmw mlkn b l Rdn), sans donner leurs
noms.
97
. ...] w-(M)rdm w-M(s²)rqn w- yftn w- rb rmt.
98
. w-( )s³r H̲wlym lbt bn S³llm s¹yd y m.
99
. Voir CASKEL 1966 I, tabl. 174.
100
. Dans l‘index de CASKEL 1966 (II, p. 509), on ne relève que sept occurrences de
l‘anthroponyme Sal l.
Les rois de Kinda
93
Ma addum ».101 De l'énumération du butin, il subsiste la mention de « cent captifs,
3.200 chameaux et 25 chevaux capturés ou tués ».
La 12e campagne est également significative. Elle est placée sous le
commandement des princes « Ma d karib et Marthadum, après que leur frère
Shuri bi l eut été libéré de ses obligations », et elle accueille le prince Bar lum fils
de Ma d karib qui combat pour la première fois. Cette campagne est explicitement
dirigée contre Ma add. Les forces mobilisées proviennent de la commune des
Yaz anide (Mashriq n et ayfat n) et d'auxiliaires arabes fournis par les tribus de
Kinda, Madh ij et Mur d;102 elles comptent 2 000 hommes et 160 cavaliers. Les
Yaz anides « se heurtent à la tribu Abdqays n (arabe Abd al-Qays) à Siyy n
(arabe al-Siyy) aux eaux du puits de Sigah (arabe Sij ) entre le Pays de Niz rum et le
Pays de Ghass n et combattent contre la tribu Shannum et les ban Nukrat et les
ban abirat ».103 Le bilan n'est pas négligeable. Les princes Marthad um et Bar lum
capturent chacun deux combattants et Bar lum en tue un au combat. Les officiers et
la troupe tuent ou font prisonniers 150 combattants, tuent ou capturent 18 chevaux
et enfin s'emparent de 400 captifs, 4 000 chameaux et 12 000 moutons. Les
ethnonymes et toponymes renvoient tous vers l'Arabie occidentale (Niz r, Ghass n,
al-Siyy),104 centrale (Sij )105 et orientale ( Abd al-Qays, sa fraction Shann ainsi que
les ban Nukrat et abirat qui en sont probablement les lignages dirigeants). 106
L'inscription Abad n nous apprend donc que la conquête de l'Arabie
centrale commence un peu avant 350 par des raids lancés à l'initiative de princes du
a ramawt, avec l'aide de tribus arabes, Kinda, Madh ij et Mur d.
b. Abīkarib As ad (c. 375-c. 445) et son fils aśś n Yuha min
Ab karib As ad est le petit-fils de Tha r n Yuhan im. Ses inscriptions et
celles de ses sujets, peu nombreuses, ne font jamais allusion à des opérations
militaires ou à des faits d‘armes, pas même Ma sal 1 = Ry 509, gravée à Ma sal alJum , au cœur du Najd.
Dans ce dernier texte, le roi Ab karib As ad et son fils aśś n Yuha min
rapportent qu‘ils sont venus dans le Pays de Ma add, en ont pris possession et y ont
établi diverses communes sudarabiques.107
. w- rbw ms¹n H̲rgt w- s²rm bn M dm.
. Kdt w-M gm w-Mrdm.
103
s¹n w- r30bw s²rtn
. w-hwkbw s²rtn bdqys¹n b-S¹yn ly mw b rn S¹gh bynn r Nzrm w- r
m
S²n w-bny Nkrt w-bny ( b)rt.
104
. Selon al-Bakr , Mu jam, al-Siyy se trouve à trois étapes de Makka, entre dh t Irq et
Marr n, soit à quelque 100-220 km à l‘est-nord-est de Makka.
105
. Les puits de Sij / Saj se trouvent à 380 km au nord-est de Makka.
106
. Abd al-Qays est une grande tribu de Rab a (CASKEL 1966-I tableaux 141 et 168) ;
Shann est l‘une de ses principales fractions. Les ban abirat peuvent être rapprochés de
abira b. al-D l b. Shann b. Af à b. Abd al-Qays ou de abira b. Nukra b. Lukayz b. Af à b.
Abd al-Qays ; quant aux ban Nukrat, ils se retrouvent dans la généalogie d‘Ibn al-Kalb
sous la forme Nukra b. Lukayz b. Af à b. Abd al-Qays.
107
. Les rois « ont gravé cette inscription dans le w d | Ma sal Gum n, quand ils sont venus
101
102
94
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Les participants à cette expédition sont :
— des communes sudarabiques : « a ramawt et Saba — les fils de
Marib —, les cadets de leurs qayls, les (plus) jeunes de leurs officiers, leurs agents,
leurs chasseurs et leurs troupes » ;108
— des tribus arabes : « Kiddat, Sa d, Ulah et (H)... »,109 à savoir Kinda,
Madh ij (puisque Sa d et Ula sont des fractions de Madh ij) et une tribu non
identifiée.
Cette inscription a manifestement un caractère fondateur du fait de sa
localisation et de son contenu : non seulement les deux souverains prennent
possession de nouveaux territoires, mais ils inaugurent une nouvelle titulature (cidessous E.3. « Le changement de titulature des rois imyarites correspond-il à
l‘installation des princes kindites ? »).
La date de l‘expédition n‘est pas donnée par le texte. Elle se situe de
manière sûre entre c. 400 et 455, peut-être vers 440 (si on se fonde sur une nouvelle
titulature qui ne serait pas encore en usage en 433). Il est sûr en effet qu'elle est
antérieure à janvier 456, date d‘une inscription dont l‘auteur est Shuri bi l Ya fur,
fils d‘Ab karib As ad, régnant seul.110 On peut dire également qu'elle se situe après
l‘accession de aśś n Yuha min à la corégence, c. 400 (Tableau 6). Il est
vraisemblable enfin — mais non assuré — qu‘elle est postérieure à août 433 (date
d‘une inscription dans laquelle un prince hamd nide invoque les souverains en leur
donnant l‘ancienne titulature). 111
Si l‘expédition date effectivement de c. 440, Ab karib As ad, sur le trône
depuis plus de 50 ans, est un homme très âgé. Il est douteux qu‘il ait participé
effectivement à l‘expédition. Ceci pourrait expliquer que la plupart des traditions
attribuent l‘intronisation de ujr kil al-mur r en Arabie centrale à son fils aśś n.
Cependant, dans la Tradition arabo-islamique, Ab karib As ad, sous le
nom d‘Ab Karib As ad le Parfait (al-K mil), est bien un héros conquérant, menant
ses armées jusqu‘à l‘Asie centrale et l‘océan Atlantique. On prétendait également
qu‘il fut le premier souverain à reconnaître la sainteté du sanctuaire mecquois (qu‘il
revêtit d‘une kiswa) et qu‘il introduisit le judaïsme au Yémen. Dans le commentaire
de sa Qa īdat al-D migha, al-Hamd n le définit ainsi : « Tubba le Moyen [b.]
Kal karib, qui est As ad Ab Karib, dont la kunya est Ab
ass n, à savoir dh
Tabb n, 680 ans, alors qu'il est dit : 326 ans. Ensuite régna son fils ass n, qui fit
et ont pris possession du Pays | de Ma add um lors de l'installation de certaines de leurs tribus
... », ... rqdw n mrqdn b-wd5yn M s¹l Gm n k-s¹b w w- llw r 6 M dm (b-)mw nzlm bn s² bhmw ...
108
. … w-b-s² b-h7mw
rmwt w-S¹b [w-]bny Mrb w- ( )rt 8 qwl-hmw w-( )lm [kl]
mqtwt-hmw w- t9ly-hmw w- yd-hmw w-qb -hmw ...
109
. w-b- rb-h10mw Kdt w-S¹( )d w-( )lh w-(H).[?]. Des deux premières lettres du dernier
mot, il ne subsiste que la partie supérieure ; la première lettre est un H ou un H̲, et la seconde
un alif, un d, un s¹, un f (?), un q ou un n (avec une petite préférence pour le alif).
110
. CIH 540.
111
. Voir Ry 534 + Rayda 1.
Les rois de Kinda
95
une expédition contre asm et Jad s ... ».112 La conquête de l‘Arabie centrale est
sans doute à l‘origine de ces développements légendaires.
c. Shuri bi īl Yakkuf (c. 468-c. 480)
Shuri bi l Yakkuf, qui ne donne jamais de patronyme, inaugure une
nouvelle dynastie vers 468. Une seule inscription, découverte récemment à
Ma sal,113 évoque des opérations militaires. Elles est malheureusement en grande
partie érodée, de sorte qu‘on ne lit guère que le nom du roi et de ses corégents, une
année (584 de l‘ère imyarite, soit 475 de l‘ère chrétienne) et quelques mots qui
permettent de penser que le texte commémorait des exploits guerriers. Dans ce
texte, le royaume d‘ al- ra est mentionné sous le nom de Tan kh.114
d. Ma dīkarib Ya fur (c. 519-522)
On ne connaît que deux inscriptions remontant à ce règne, toutes deux
rédigées par le roi. La première (Ma sal 2 = Ry 510) a été gravée en juin 521 à
Ma sal al-Jum en Arabie centrale ; la seconde (Ja 2884), qui se trouve à am a, à
180 km environ au nord-nord-ouest de Najr n, est postérieure de deux mois (août
521). On devine aisément que ces deux textes ont été composés au retour d‘une
expédition militaire.
De fait, Ma sal 2 = Ry 510 commémore une campagne contre le Bas- Ir q,
avec le soutien d'Arabes alliés de Byzance. 115 En bref, Ma d karib Ya fur prétend
avoir soumis les Arabes qui s‘étaient révoltés, malgré les attaques de
« Mudhdhirum » (à savoir al-Mundhir, roi d‘al- ra). Mais il ne nomme pas ces
Arabes et ne mentionne aucun résultat concret (nombre d‘ennemis tués, captifs,
butin etc.). On peut donc supposer qu‘il n‘y a pas eu de véritable bataille et donc
que la campagne a été une simple démonstration de force sans effet durable. Le seul
détail topographique est la mention de rq Kt , que nous avons identifié avec la
partie du Ir q dont K th (ville située à mi-chemin entre l‘Euphrate et le Tigre sur
le canal de même nom, à 35 km au sud-sud-ouest d‘al-Mad in) est le centre.
Les forces mobilisées sont :
— les communes du royaume imyarite : « Saba , imyarum, Ra bat n,
a ramawt et le Sud ( ?) » 116 ;
— les auxiliaires arabes : Kiddat et Madh| i[g]um ;117
— des alliés arabes : les ban Tha labat, Mu ar et S¹(..).118
112
. Pp. 534 / 19-535 / 1.
. Ma sal 3.
114
. ROBIN 2008, p. 190.
115
. Ma sal 2 = Ry 510.
116
. w-s¹b w b-s² b-hmw S1b w- myrm w-R b7tn w- ( )rmt w-Y(m)n. La lecture et la
signification de Y(m)n sont hypothétiques : la traduction par « Sud » repose sur l'hypothèse
que Y(m)n est une graphie défective de Ymnt, « Sud » : comparer avec gy (Ry 512 / 1) et
gyt (Ja 1031 a / 1).
117
. w-b- m rb-hmw Kdt w-M 8 [g]m.
118
. w-b- m bny lbt w-M r-w-S1.(h).
113
96
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Une différence importante distingue les alliés des auxiliaires : c‘est la
mention de leurs chefs, les ban Tha labat (ce qui implique leur autonomie).
Deux textes syriaques appartenant à une même tradition indiquent que ce
roi (qu‘elles appellent Ma d karim ou Ma dōkarim) a été placé sur le trône par les
Aks mites et qu‘il est chrétien.119 Ceci s‘accorde bien avec le fait que le prince
kindite Arethas (al- rith al-Malik), en charge de l‘Arabie centrale, a conclu une
alliance avec l'empereur byzantin Anastase (491-518) (ci-dessus B.3. « al- rith alMalik b. Amr »).
e. Abraha (c. 535-c. 565)
Trois inscriptions d'Abraha jettent un peu de lumière sur la fin de la
dynastie kindite. La première est CIH 541 (déjà évoquée à propos de Yaz d b.
Kabshat) qui date de mars 548 ( -m n 658 im.).
Ce texte fort long, réalisé avec soin, est gravé sur un pilier qui se dressait
sur la colline à l‘ouest du môle septentrional de la Digue de Marib, à côté d‘un
pilier semblable qui portait l‘inscription CIH 540 du roi Shuri bi l Ya fur (c. 450468), commémorant une importante réfection de la Digue. Il est manifeste que, dans
ce texte, Abraha cherche à se présenter comme l‘émule et le continuateur d‘un
grand roi imyarite, auquel il se réfère explicitement. 120 Il a besoin de cet illustre
patronage parce que la légitimité de son accession au trône a été contestée aussi
bien par certains de ses sujets (Kinda et d‘autres groupes)121 que par son suzerain
aks mite.
Dans CIH 541, Abraha relate tout d‘abord sa campagne contre Kinda au
a ramawt et la soumission des révoltés ; il détaille ensuite les travaux qu‘il a
effectué sur la Digue ; il mentionne enfin de façon incidente que, toujours à Marib,
il a consacré une église et réuni (à l'automne 547) une conférence diplomatique
avec des représentants de Rome, de l'Çthiopie, de la Perse et de trois princes arabes.
Le deuxième texte, Muryagh n 1 = Ry 506 (déjà mentionné), porte la date
de septembre 552 ( - ln 662 im.). Dans cette importante inscription rupestre,
gravée près des puits de Muraygh n, Abraha commémore des opérations militaires
dans l‘Arabie déserte, qualifiées de « quatrième expédition ». Deux colonnes
d'auxiliaires arabes qui razzient Ma add, engagent le combat contre les ban mrm et
sont victorieuses, faisant du butin et des prisonniers. Les deux batailles, dans « le
w d Mur kh » et « le w d à l‘aiguade de Tur b n », peuvent être localisés (sans
certitude) à 250 km au nord-ouest et à 335 km à l‘ouest de la moderne al-Riy . Le
roi Abraha se rend alors à alib n (à 275 km au sud-ouest d‘al-Riy ) où la tribu de
Ma add fait acte d‘allégeance et remet des otages. Ce succès d'Abraha à alib n a
frappé les contemporains, puisqu'il a laissé des échos dans la poésie arabe
119
. BEAUCAMP et alii 1999, pp. 75-76 ; ROBIN 2010 b, pp. 72-73.
. Voir CIH 541 / 98 (Y fr) ; voir aussi DAI GDN 2002 / 20, ll. 14-15 ([S²r b] l Y f[r]),
texte qui est une ébauche de CIH 541.
121
. L‘inscription CIH 541 / 14-18 mentionne « les princes de Saba , les Sa arides Murrat, |
Thum mat, anashum et Marthadum, ainsi que a|n fum dhu-Khal l et les Yaz anides, les
prince|s Ma d karib fils de Sum yafa et Ha n et ses frères ban Aslam ».
120
Les rois de Kinda
97
préislamique. Comme nous l‘avons vu (B.6. « Les ban Amr de l‘inscription
Muraygh n 1 »), il s‘agit d‘une guerre contre Ma add et leurs princes, « tous les
ban Amr » (à savoir les ujrides). Vers le milieu du VIe s., des princes kindites
ont donc encore des positions de pouvoir en Arabie centrale. À la suite de cette
guerre, le Na ride Amr b. al-Mundhir se rend à Abraha et remet son fils en
otage.122
La troisième inscription d‘Abraha se trouve également à Muraygh n. Elle
complète la précédente en rapportant que ʻAmr b. al-Mundhir a été expulsé
d‘Arabie centrale123 et que toute une série de régions et de tribus en Arabie
orientale, septentrionale et occidentale font leur soumission :
« ... et (Abraha) a soumis tous les Arabes de Ma addum[, Ha]garum, Kha ,
um
ayy , Yathrib et Guz m (ar. Judh m ?) ».124
Hagarum (Hajar) et Kha sont dans la région du golfe Arabo-persique,
um
ayy en Arabie du Nord, Yathrib (aujourd'hui al-Mad na) et Judh m en Arabie du
Nord-Ouest.
Cette inscription encore inédite qui a reçu le sigle Muraygh n 3 n‘est pas
datée. Elle développe les conséquences de la soumission de Ma add et de la
reddition de Amr fils d‘al-Mundhir : de ce fait, elle semble légèrement postérieure
à Muraygh n 1 = Ry 506, sans qu‘on puisse dire s‘il s‘agit de semaines, de mois, ou
même d‘une année ou deux.
3. Le changement de titulature des rois
imyarites correspond-il à
l’installation des princes kindites ?
Dans l‘inscription de Ma sal al-Jum (Ma sal 1 = Ry 509) qui commémore
l‘annexion de Ma add, on constate que les souverains imyarites ont modifié leur
titulature. Depuis la conquête du a ramawt, un peu avant 300 de l‘ère chrétienne,
ils s'intitulaient :
« roi de Saba , de dhu-Rayd n, du a ramawt et du Sud ».125
Ils ajoutent dès lors la mention des Arabes. La nouvelle titulature se lit tout
d‘abord (Ma sal 1 = Ry 509) :
« roi de Saba , de dhu-Rayd n, du a ramawt et du Sud, et des Arabes du
Haut-Pays et du Littoral ».126
. « A la suite de cela, s‘est livré à lui (Abraha) Amrum fils de Mudhdhir n (= al-Mundhir) 8
qui lui a remis en otage son fils alors qu‘il (= Amrum) l‘avait établi comme gouverneur sur
Ma addum », w-b dn-hw ws³ -hmw mrm bn M rn 8 w-rhn-hmw bn-hw w-s¹thlf-hw ʻly Mʻdm.
Concernant notre interpétation de ce passage crucial, voir ROBIN « à paraître ».
123
. Muraygh n 3 / 3 : « et il a chassé Amrum fils de Mudhdhir n », w- rdw mrm bn M r n.
124
. Muraygh n 3 / 3-4, w-s¹ 4tq w ᾽ʻrb M dm[ w-H]grm w-H̲ w-Ţym w-Ytrb w-Gz(m).
125
. mlk S¹b w- -Rydn w- rmwt w-Ymnt.
126
. mlk S¹b w- -Rydn w- rmwt w-Ymnt w- rb wd w-Thmt. Le texte fragmentaire
BynM 17 présente une variante intéressante : ( )bk(r)[b ]s¹ (d)[ w-bny-hw ]|s³n Yh mn wM[ dkrb Yn m ]|mlk S¹b w-( -)[Rydn w- rmwt w-]| Ymnt w- [wd w-Thmt ... ...]. Comme
122
98
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Peu après, lors de l‘accession au trône de Shuri bi l Ya fur, elle subit un
petit changement, avec le remplacement de « et des Arabes du Haut-Pays et du
Littoral » par :
« … et de leurs Arabes dans le Haut-Pays et sur le Littoral ».127
Ensuite, elle ne varie plus jusqu‘à la disparition du royaume de imyar. Sa
dernière attestation est datée de novembre 558.
Dans cette titulature, l‘adjectif possessif « leurs » (dans « leurs Arabes »)
renvoie à « Saba , dhu-Rayd n, a ramawt et le Sud », c‘est-à-dire à imyar.
L‘ajout de la mention des Arabes – ou plutôt de certains Arabes – dans la
titulature imyarite a une importance politique capitale : pour la première fois, les
Arabes sont considérés comme des acteurs majeurs, d‘une dignité égale aux tribus
royales de l‘Arabie méridionale.128
La question qui se pose est de savoir si l‘adoption de la nouvelle titulature
correspond à la désignation de ujr comme représentant du roi de imyar dans le
Pays de Ma add. C‘est possible sans être sûr. ujr a pu être investi de cette
responsabilité à une date antérieure. C‘est cette dernière option que nous avons
retenue ci-dessus (Tableau 3) en supposant que ujr aurait reçu le pouvoir sur
Ma add vers 425.
4. L’implicite dans les inscriptions imyarites : le cas des rois de Kinda
Aucune des inscriptions royales imyarites ne mentionne explicitement
que le pouvoir sur les tribus de l‘Arabie deserte est délégué aux princes kindites. On
peut deviner cependant qu‘il en est bien ainsi. C‘est la composition des armées
imyarites qui le suggère.
Les forces sur lesquelles les souverains imyarites s‘appuient pour
contrôler l‘Arabie déserte se composent systématiquement de deux ensembles : des
troupes recrutées au Yémen même et des auxiliaires fournis par les tribus arabes de
la périphérie.
Selon Ma sal 1 = Ry 509, lors de la prise de possession du Pays de
Ma addum (vers 440), ce sont :
— une armée constituée de troupes régulières recrutées dans deux des
composantes de imyar, le a ramawt et Saba , ainsi que de personnages de rangs
divers ;
— des auxiliaires recrutés dans les tribus arabes de Kinda, Sa d al- Ash ra
et Ula.
il s‘agit d‘une copie provinciale malhabile de la liste officielle des rois, on peut se demander
si la titulature restituée « S¹b w- -Rydn w- rmwt w-Ymnt w- wd w-Thmt » — sans mention
des Arabes — reflète une titulature effectivement portée par les rois ou si elle abrège
librement la formulation officielle.
127
. … w- rb-hmw wdm w-Thmt.
128
. ROBIN 2006.
Les rois de Kinda
99
Dans les textes postérieurs, commémorant d‘autres opérations de imyar
dans l‘Arabie déserte, il en va de même. D‘après Ma sal 2 = Ry 510, en 521, les
troupes du roi Ma d karib Ya fur se composent d‘une part des « tribus Saba ,
imyarum, Ra bat n, a ramawt et Sud » (ll. 6-7), d‘autre part des auxiliaires
arabes « Kiddat et Madh i(g)um », ainsi que des « ban Tha labat, Mu( a)r et
S¹ … » (ll. 7-8).
Une trentaine d‘année plus tard, en 552, Abraha dépêche deux colonnes
d‘auxiliaires arabes, commandées par « Ab gabr, avec Kiddat et Ula, et Bishrum fils
de i num, avec Sa dum et Mur dum » (Muraygh n 1 = Ry 506 / 4-5).
Il faut encore évoquer le texte fragmentaire Gajda-al- Ir fa 1 / 3 qui
mentionne la tribu arabe de Madh igum (arabe Madh ij).
Lors de leurs expéditions en Arabie déserte, les armées des princes
Yaz anides se composent de même de troupes imyarites et d‘auxiliaires arabes (cidessus E.2.a. « Tha r n Yuhan im, c. 324-c. 375 »).
En bref, quand ils interviennent militairement dans l‘Arabie déserte, les
imyarites demandent régulièrement le soutien de quelques tribus arabes installées
à la périphérie du Yémen, entre le a ramawt (Kinda), le nord du Jawf (Mur d) et
la région de Najr n (Madh ij et ses fractions Sa d [al- Ash ra] et Ula) :
Tableau 5
Les tribus arabes fournissant des auxiliaires aux rois imyarites
lors de leurs expéditions en Arabie déserte
c. milieu du Ve s.
Ma dīkarib (521)
Abraha (552)
Abad n 1
Ma sal 1
Ma sal 2
Muraygh n 1
Abad n 1
al- Ir fa 1
Ma sal 2
IV
Kinda (Kdt)
m
Madh ij (M g )
e
s.
Sa d (S¹ d)
Ma sal 1
Sa d (S¹ dm)
Muraygh n 1
Muraygh n 1
Ula ( l)
Ma sal 1
Ula ( lh)
Mur dum (Mrdm)
rb
H.[?]
rmt
Abad n 1
Muraygh n 1
Abad n 1
Ma sal 1
On peut observer que le nom de Madh ij se trouve dans trois inscriptions.
Dans deux autres (Ma sal 1 = Ry 509 et Muraygh n 1 = Ry 506) où il manque
100
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
curieusement, il est remplacé par celui des tribus l / lh et S¹ dm / S¹ d qui sont
précisément deux fractions de Madh ij : Sa d al- Ash ra b. M lik [Madh ij] et Ula
b. Jald b. M lik [Madh ij] selon les généalogies d‘Ibn al-Kalb .129 Les auxiliaires
arabes des rois imyarites sont systématiquement recrutés dans trois tribus : Kinda,
Madh ij (qui dépend des rois de Kinda) et Mur d.
Au moment de l‘enregistrement des généalogies, vers les débuts de
l‘époque islamique, la tribu de Mur d est une fraction de Madh ij (Tableau 4).
Nous supposons qu‘il en était de même avant l‘islam. Quant à la tribu de Madh ij,
elle est la sujette du roi de Kinda au IIIe siècle (A.2. « Les ban Badd ») et il en va
vraisemblablement de même par la suite, au moins jusqu‘à la fin de la dynastie
ujride (C.5.b. « Abd al-Mas b. D ris al-Kind »). Nous présageons donc que le
roi de Kinda a autorité sur Kinda, mais aussi sur Madh ij et sur Mur d. Le fait que
Kinda, Madh ij et Mur d soient toujours énumérées dans cet ordre semble
confirmer cette supposition.
Si tout ceci est bien exact, il apparaît que le pouvoir imyarite sur l‘Arabie
déserte repose avant tout sur les tribus de Kinda, de Madh ij et de Mur d. Pour un
lecteur attentif et critique des inscriptions, ces tribus ont un chef qui joue
manifestement un rôle éminent.
5. Quel était le titre que portaient les princes kindites ?
Au IIIe siècle, les inscriptions sabéennes et imyarites donnent volontiers le
titre de « roi » aux chefs de Kinda et à ceux de quelques autres tribus arabes. Mais
aucune de ces inscriptions n‘est postérieure à la conquête de l‘Arabie déserte par
imyar, qui commence après le règne de Shammar Yuhar ish (mort vers 315). On
peut en déduire que les imyarites cessent de reconnaître comme « roi » les chefs
des tribus qui passent sous leur autorité.
Le graffite « ugr fils de Amrum roi de Kiddat »,130 qui date très
probablement du Ve siècle comme non l‘avons vu (ci-dessus B.1. ujr kil almur r b. Amr), ne contredit pas cette conclusion. Il ne s'agit pas d'une inscription
monumentale exposée dans une ville, à savoir d‘un document dont les autorités
peuvent contrôler le contenu, mais d'un graffite hâtivement incisé sur un rocher du
désert. Ce graffite n'en est pas moins intéressant : il montre que, même si les
imyarites ne reconnaissent plus le titre royal que portaient certains chefs tribaux,
ces derniers continuent à s‘en prévaloir.
Quant au titre officiel que portaient les princes kindites en charge des
affaires de l‘Arabie déserte, on peut supposer que c‘était « représentant (du roi) »
(ẖlft, à vocaliser probablement khalīfat) ? Ce sont deux inscriptions d‘Abraha qui le
donnent à penser :
— CIH 541 / 9-13 :
129
130
. CASKEL 1966-II, tableau 258.
. Gajda- ujr : gr bn mrm mlk Kdt.
Les rois de Kinda
101
« Il a écrit cette inscription après que se soit révolté et ait violé son
serment Yazīd bṬ Kabshat, son gouverneur, qu'il avait nommé sur Kiddat, alors que
(cette tribu) n'avait pas de gouverneurṬ Il s'est révolté ṬṬṬ »
(w-s¹ rw n ms³ndn k-q10s¹d w-hẖlf b-gzmn Yzd 11 bn Kbs²t ẖlft-hmw 12
s¹ tẖlfw ly Kdt w-d kn 13 l-hw ẖlftn w-qs¹d ṬṬṬ) ;
ḍ Muraygh n 1 = Ry 506 / 7-8 :
« à la suite de cela, s’est livré à lui (Abraha) Amrum fils de Mudhdhir n
(= al-Mundhir) 8 qui lui a remis en otage son fils alors qu’il (= Amrum) l’avait
établi comme gouverneur sur Ma addum »
(w-b dn-hw ws³ -hmw mrm bn M rn 8 w-rhn-hmw bn-hw w-s¹tẖlf-hw ly
m
M d ).
6. Kinda, Qa ṭ n et
imyar
La fédération tribale réunissant Madh ij et Mur d sous la direction de
Kinda, que divers indices conduisent à restituer, est le bras armé des Yaz anides et
des rois de imyar dans toutes les opérations militaires en Arabie déserte. Elle a
manifestement une grande familiarité avec ce terrain difficile, qui fait défaut aux
montagnards du Yémen. Il est logique, de ce fait, que les rois de Kinda aient une
part importante dans l‘administration des territoires conquis et que le nom des
Arabes apparaissent finalement dans la titulature imyarite.
Les princes kindites en tirèrent un grand prestige, comparable à celui des
Mecquois à la veille de l‘Islam. Ceci pourrait expliquer pourquoi on en trouve à la
tête de principautés diverses, en Arabie orientale, à Najr n ou à D mat al-Jandal. Il
n‘est pas impossible que certains aient été sollicités d‘exercer le pouvoir par les
tribus elles-mêmes comme certains le disaient de Bakr b. W il (voir B. 3 « alrith al-Malik b. Amr ») : un étranger présentait de meilleures garanties de
neutralité dans la gestion des affaires locales ; par ailleurs le choix d‘un Kindite
facilitait les relations avec imyar. Ce schéma n‘est pas sans rappeler comment
Mu ammad se fit confier le pouvoir par Aws et Khazraj à Yathrib.
La position éminente des Kindites dans l‘Arabie préislamique a des
prolongements après l‘Islam : al-Ash ath joue un rôle éminent à la cour de Médine
et son petit-fils, Abd al-Ra m n b. Mu ammad b. al-Ash ath, dit « Ibn alAsh ath », prend la tête d‘une révolte contre al- ajj j qui ébranle dangeureusement
le pouvoir de l‘umayyade Abd al-Malik en 699-702. Les princes kindites sont alors
les porte-drapeau naturels des Arabes du Sud dans les luttes politiques aux premiers
temps de l‘Islam. Ils ont définitivement supplanté les Sabéens, les imyarites ou les
Hamd nites.
On aurait pu s‘attendre, dès lors, à ce que Kinda / Thawr soit choisi comme
l‘ancêtre éponyme des Arabes du Sud dans la généalogie arabe. Ce n‘est pas le cas
sans qu‘on sache pouquoi.. On lui a préféré la petite tribu de Qa n, supplantée par
102
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Kinda au début du IIIe siècle et sans doute disparue. L‘origine d‘une telle tradition
ne peut être que kindite.131
Conclusion
Grâce aux inscriptions sabéennes et imyarites, l‘histoire ancienne de
Kinda et de ses rois commence à se préciser. On racontait que Kinda, obligée de
quitter le Yémen, avait migré avec ses rois jusqu‘à Ghamr dh Kinda, puis en
Arabie centrale. Chassée de celle-ci, elle se serait finalement réfugiée au
a ramawt. Il est clair aujourd‘hui que ces récits, qui cherchent expliquer
pourquoi certains princes kindites, manifestement yéménites, règnent en Arabie
centrale et orientale, ne reflètent que très imparfaitement le passé.
En fait, Kinda a toujours été une tribu puissante de la périphérie du
Yémen, qui a réussi à fédérer Qa n, Madh ij et probablement Mur d. Qui que
soient les princes sous l‘autorité desquels elle combat (Yaz anides ou souverains
imyarites), c‘est toujours elle qui fournit les auxiliaires arabes nécessaires à la
conquête de l‘Arabie déserte. Et ce sont les rois de cette tribu (de la dynastie
ujride) qui ont administré les régions conquises.
La chronologie de la dynastie ujride se fondait précédemment sur deux
mentions d‘al- rith al-Malik dans les sources externes (Malalas et Nonnosos),
plus sur une troisième qui renvoie en fait à un autre personnage (Théophane le
Confesseur). On savait donc que ce prince arabe avait conclu une paix avec
Anastase (491-518) et qu‘il était mort peu avant avril 528.
Il faut ajouter désormais les trois expéditions commémorées à Ma sal alJum , que les rois imyarites conduisent en Arabie déserte :
— vers 440, Ab karib As ad (en corégence avec son fils
aśś n
Yuha min : Ma sal 1 = Ry 509) ;
— en 474-475, Shuri bi l Yakkuf (Ma sal 3) ;
— en juin 521, Ma d karib Ya fur (Ma sal 2 = Ry 510).
En articulant ces données avec celles de traditions dont la valeur est
souvent incertaine, les dates de règne des trois principaux souverains ujrides
pourraient être :
— ujr kil al-mur r (425-450 ?)
— Amr al-Maq r (450-470 ?)
— al- rith al-Malik (c. 470-528).
. On sait que, pour la généalogie de Kinda, le principal informateur d‘Ibn al-Kalb et de
son père est Ab l-Kann s Iy s b. Aws b. H ni (Ibn al-Kalb , Nasab Ma add, p. 142, avec
la lecture Ab l-Kayy s ; Caskel 1966-I, tableau 236, avec la lecture Ab l-Kub s ; Lecker
1995, p. 640, n. 24, qui donne la préférence à Ab l-Kann s, en se fondant sur le Fihrist
d‘Ibn al-Nad m). Cet Ab l-Kann s appartient au lignage des ban Jabala, comme alAsh ath (voir ci-dessous C.4 « Les ban Jabala »), mais non au même rameau.
131
Les rois de Kinda
103
Contrairement à une hypothèse que j‘avais formulée en 1996, il n‘y a pas
de lien évident entre les expéditions imyarites et l‘accession au trône des princes
kindites. Mais il apparaît vraisemblable que chacun de ces princes a reçu la visite et
éventuellement un soutien militaire occasionnel des rois de imyar.
Il subsiste cependant bien des points importants qui ne sont pas élucidés.
Je me contente d‘en lister quelques-uns :
— Quand al- rith al-Malik devient-il roi d‘al- ra et pour combien de
temps ?
— Quelle est l‘attitude d‘al- rith al-Malik quand le roi imyarite Y suf
As ar Yath ar se révolte contre son suzerain aks mite en 522 ? Adhère-t-il à la
politique de Y suf ou bien demeure-t-il fidèle à son alliance avec Byzance (et avec
son allié aks mite) ?
— Comment concilier les deux versions de la succession d‘al- rith alMalik, celle des sources byzantines qui mentionnent le seul Kaisos (Qays) et celle
de la Tradition arabo-islamique qui se focalise sur les quatre fils d‘al- rith ( ujr,
Ma d karib, Shura b l et Salama) ?
— Qui sont nommément « tous les ban Amr » qui se révoltent contre
Abraha ?
— Enfin, où les phylarques kindites Arethas (al- rith al-Malik) et Kaïsos
(Qays) reçoivent-ils les ambassadeurs byzantins qu‘on leur envoie ? Ne serait-ce
pas dans l‘oasis de D mat al-Jandal qui est proche de Byzance, ce qui expliquerait
le fait qu‘Arethas ait une querelle avec le duc de Palestine (Malalas, XVIII.16) et
une présence kindite à D ma jusqu‘à l‘aube de l‘Islam ?
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
104
Tableau 6
LES ROIS DE IMYAR DES IVe, Ve ET VIe SIECLES
Premières expéditions dans l'Arabie déserte
La dynastie de Dhamar alī Yuhabirr
[c. 321-c. 324]
1. Dhamar alī Yuhabirr TL
mr ly Yhbr mlk S¹b w- -Rydn w-
rmwt
w-Ymnt
a. Règne solitaire : Ir 31 (Ma rib ; ibn
-
Mr bm) et Ir 32 (Ma rib ; ibn Gadanum),
conquête de Sar r n (w d
a ramawt)
b. Corégence Dhamar alī Yuhabirr + fils
-
Tha r n
Yuhan im
TL :
Schmidt-
Ma rib 28 + Ja 668 (Ma rib ; « la commune
Saba Kahl n »),
même
conquête
de
Sar r n ; Garb SF V (Ẓaf r) (... Y]hb[r... | ...
] rn Y[...) ; Graf 5 (...]|-hw
rn Yhn m[ṬṬṬ)
2. Tha r n Yuhan im RSR / TL (fils
[c. 324-c. 375]
de Dhamar al Yuhabirr)
rn Yhn m mlk S¹b w- -Rydn w-
rmwt w-
Ymnt bn mr ly Yhbr
a. Règne solitaire
[c. 324-c. 365]
RSR
324 / 325
434 im.
DJE 25
(Ma na at
M riya,
[ban
Yuhafri ?]) ; DhM 201 ([auteurs ?])
<Ambassade romaine de Théophile l‘Indien
<c. 340-345>
auprès du roi de imyar>
<351 / 352
461 im.>
<MQ-Ma rib 1 (sans mention de roi)>
Sans titulature
Juillet 360
-m r n 470 im.
Abad n 1 / 5 et 16 ( lht Yaz an)
Mention également du « roi Tha r n
Ayfa » ( Abad n 1 / 24) et du « roi
Dhamar alī Ayfa » ( Abad n 1 / 26),
sans doute des parents de Tha r n
Yuhan im
Les rois de Kinda
<361-370
47[1]-47[9] im.>
105
<ẒM 700 (Ẓaf r ; fragment sans mention de
roi)>
b. Corégence hypothétique Tha r n + fils
Malkīriy m TL : Veerman 2 = BynM 1 (alBay
du Jawf, ban dhu-W
m
commune W
m
qayls de la
n
) ( |r w-bny-hw Mlkrym)
c. Corégence Tha r n Yuhan im + fils
[c. 365-c. 370]
Malkīkarib (Yuha min)
TL
blm w-Qtrn twn) ;
Ja 669 (Ma rib ; ban
Ja 670 (Ma rib ; ban Sukhaymum ; épidémie
à Ẓaf r) ; Ja 671 + 788 (Ma rib ; ban
Sukhaymum ; rupture et réparation de la
Digue de Marib)
RSR
Khald n-Ball s 1 inédit (ban Mqr)
d. Corégence Tha r n Yuhan im + fils
[c. 370-c. 375]
Malkīkarib
Yuha min
et
Dhamar alī
Yuhabirr TL
DhM 204 (Hakir ; ibn dhu- agarum) ; MQMinkath 1
([ ]( )rn
Yhn m
[w-bny-hw
Mlkk|[r](b) Yh mn w-[ mr ly Yhbr] | [ mlk
]S¹b (w- -)[Rydn... etc.)
Août [37]3
n
-ẖrf [48]3 im.
YM 1950 (Bayt Ghufr ; [ban Bata , qa]yls
de la commune Sam , fraction dhuuml n ; monothéiste) ( rn Yhn m w-bnyh[w Mlkkrb Yh mn ṬṬṬ])
<372-373
482 im.>
<Khald n al-Har j 1 (sans mention de roi)>
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
106
3. Malkīkarib Yuha min TL (fils de
[c. 375-c. 400]
Tha r n Yuhan im)
Mlkkrb Yh mn
a. Corégence
[c. 375-c. 376]
hypothétique
Malkīkarib
Yuha min + fils [Abīkarib As ad] TL :
Ja 856 = Fa 60 (Ma rib, construction d‘un
mkrb)
b. Corégence Malkīkarib Yuha min +
[c. 376-c. 400]
Abīkarib As ad et Dhara amar Ayman
TL
Janvier 384
-d w 493 im.
n
Garb Bayt al-Ashwal 2 et RES 3383 (Ẓaf r ;
construction
Kl[n] ;
-qy n 487 im.
Juin 377
des
palais
premières
m
Shaw a n
inscriptions
et
royales
monothéistes)
c. Invocation à Abīkarib As ad et
Dhara amar Ayman TL : Shu l n-Shib m
K. (inédit) (Kab r [Aqy num] ?)
d. Invocations à Dhara amar Ayman TL :
Khald n- Albaj 1 inédit (ban
dhu-M r m,
polythéiste) ; Garb Bayt al-Ashwal 1 (Ẓaf r ;
Yah da
([ban
Yakkuf) ; MAFY-Bayt Ghufr 1
Bata ]) ; al-Sayla al-Bay
1 ( lht
S²n )
m
imyar annexe une grande partie de l'Arabie déserte
4. Abīkarib As ad TL / TTL1 (fils de
[c. 400-c. 445]
Malk karib Yuha min)
bkrb s¹ d
a. Règne solitaire ?
Ja 516 ( ahr), [Ab karib A]s ad (TTL ?)
<402-403
512 im.>
<MAFY-Ban Zubayr (sans mention de roi),
inscription polythéiste datée la plus tardive>
b. Corégence Abīkarib As ad + (frère)
Dhara amar Ayman + (fils)
Yu min, Ma dīkarib Yun im et
aśś n
ugr
Ayfa TL : Garb Minkath 1 ; YM 327 =
Ja 520 ( ahr) ; Garb Framm. 7 (Ẓaf r)
Les rois de Kinda
107
c. Corégence Abīkarib As ad + (fils)
aśś n Yu min et Ma dīkarib Yun im
[ou : + (fils)
et
aśś n Yu min, Ma dīkarib
ugr] TTL1bis
BynM 17 : ( )bk(r)[b
]s¹ (d)[ w-bny-hw
]|s³n Yh mn w-M[ dkrb Yn m ]|mlk S¹b
w-( -)[Rydn w-
rmwt w-]|Ymnt w- [wd w-
Thmt ...]
d. Corégence Abīkarib As ad +
Yu]ha min,
Ma dīkarib
Marthad il n
Yaz an
aśś [n
Yuhan im,
et
Shuri bi īl
Ya fur TL
Février 432
- ltn [5]42 im.
ẒM 5 + 8 + 10 (Ẓaf r ; invocation aux rois
sans les nommer)
Août 433
n
-ẖrf 543 im.
Ry 534 + MAFY-Rayda 1 (ibn Hamd n et
Su r n)
e. Corégence Abīkarib As ad +
Yuha min TTL1 (fils de
aśś n
aśś n Malk karib
Yuha min TL) : Ry 509 (Ma sal al-Jum )
f. Mentions du roi Ma dīkarib
(sans
titulature) ?
439 / 440
549 im.
439 / 440
549 im.
Ph 124a+g = P 79+80 (Najr n) : b-mlk
M dkrb
Ph
130a+147+130c
=
P
50+49+51
(Najr n) : b-mlk M dkrb
<Graffite au nom de
ugr fils de Amrum roi
de Kinda ( gr bn mrm mlk Kdt) :
ujr-
Gajda (Naf d Musamm , à quelque 25 km
au nord-ouest de Kawkab ; sans mention de
roi ; date incertaine)>
[? 445-450 ?]
5. [ aśś n Yuha min TTL2] (fils
d‘Ab karib As ad) ?
[ s³n Yh mn]
Corégence
hypothétique
[ aśś n
Yuha min] + frère Shuri bi īl Ya fur
TTL2 : Garb Framm. 3 (Ẓaf r) : [ s³n
Yh mn
w-]( )ẖ-hw
S²r b l
Y |[fr
ṬṬṬ ;
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
108
RES 4105 (Ẓaf r) : [ śn Yh mn w- ẖ-h]w
S²r b l Y f[r ṬṬṬ
- ln 558 im.>
<Septembre 448
<Barrett-Beeston (Bayn n ; stèle funéraire
sans mention de roi)>
Octobre 450
n
z- rb 560 im.
RES 5085 ( abb n ; lht Yaz an ; invocation
aux rois, sans les nommer)
6. Shuri bi īl Ya fur TTL2 (fils
[c. 450-c. 468]
d‘Ab karib As ad)
-d w 565 im.
Janvier 456
-mbkrn 566 im.
Mai 456
CIH 540
(Marib ; réfection de la Digue)
Dostal 1 (w d l-Sirr, al-Qam a ; [... qayls
de la commune irw ], Khawl n H̲[ lm ...] ;
roi sans patronyme)
Décembre 462
- l 572 im.
n
ẒM 1 = Garb Shuri bi l Ya fur (Ẓaf r ;
construction du palais Hrgb)
<Août 463
-ẖrf 573 im.>
<CIH 6 ( an
, dhu-Qwlm ; sans mention de
roi)>
<Janvier 465
-d w 574 im.>
n
<Ry 520 ( ula ? ; dhu-Kabsiyum ... qayls de
la commune Tan imum etc. ; sans mention de
roi)>
575 im. Khald n-al-Bas t n 1 (inédit) (roi
465-466
sans patronyme)
CIH 45 + 44 (
La dynastie de Shuri bi īl Yakkuf
[c. 468-c. 480]
f ; [S²r b l Y f]r)
1. Shuri b īl Yakkuf TTL2
S²r b l Ykf
a. Règne solitaire
- btn 580 im.
Avril 470
ẒM 2000 (Ẓaf r ; ban
S¹b w- -Rydn w-
Février [47]5
—
n
- lt [58]5 im.
ryn) (S²r b l mlk
rmwt)
CIH 644 (]b l Ykf mlk S¹b w- -[)
Gl 1194 (Na ) (]r b l Yk[) ; RES 4298
(ṬṬṬ]kf mlk S¹b etc.)
Martyre guèze d'Azkīr : Sar bh l (variantes :
Sar bhēl / Sar b ēl) D nkəf
b. Corégence de Shuri bi[ īl Yakkuf +
(fils) Abīshammar] Nawfum, La ay at
Yanūf et Ma dīkarib Yun im TTL2
Les rois de Kinda
Août 472
-ẖrfn 582 im.
109
RES 4919 + CIH 537
=L
( mlkn
121
S²r b|[ l Ykf w-bny-hw bs²mr] Nwfm wL y t Ynwf w-M dkrb Yn m mlk S¹b etc.) ;
RES 4969 = Ja 876 ([ṬṬṬ mr -hmw | S²r b ]l
Ykf [w- bs²mr Nwf | w-L y ]t Ynf w-M dkrb
Yn[ m mlk S¹b w- -Rydn | ww- rb-h[mw
Ymnt
wd
m
rmw]t w-
w-Thmt] ;
le
monogramme de droite donne à penser que
l‘auteur principal se nomme Ma d karib).
c. Corégence de Shuri bi īl Yakkuf + fils
Abīshammar Nawf et La ay at Yanūf
TTL2
474-475
584 im.
Ma sal 3 (inédit) (S²r b l Ykf w-bny-hw
bs²mr Nwf w-L y t Ynf | mlk S¹b w- -Rydn
w-
rmwt w-Ymnt w- rb-hmw
wd|m w-
Thmt)
2. Marthad il n Yun im TTL2 (fils de
[c. 480-c. 485]
[La ay a]t Yan f TT2 fils de [Shuri] bi l
Yakkuf TT2)
Mr d ln Yn m
ḍ
CIH 620 (Ẓaf r) (ṬṬṬ]n m m[lk ṬṬṬ | ṬṬṬ]t Ynf
ml[k ṬṬṬ | ṬṬṬ S²r] b l Ykf m[ṬṬṬ) ; YM 1200
(Mr d ln Yn m m[ṬṬṬ ṬṬṬ ]||mw wdm w-Thm[t
... ...
]|rmwt w-Ymnt w-[... ... Yk]|f mlk
S¹b[ ṬṬṬ)
Interrègne ?
[? 485-500 ?]
<Juin 486
-qyẓn 596 im.>
<MAFRAY-Ab
Thawr 4 ( lht Yaz an ;
sans mention de roi)>
<Février 486
- ltn 596 im.>
<MAFRAY-Qu ub n 37 et 47 (dhu-Rs¹mm ;
sans mention de roi)>
<Décembre 487
- ln 597 im.>
<Août 488
n
-ẖrf 598 im.>
<Robin-Najr 1 (sans mention de roi)>
<MAFYS- ura 3 = RES 4069 ( lht Yaz an ;
sans mention de roi)>
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
110
<Juin 490
-qyẓn 600 im.>
2 (ibn Y m l ; sans
<MAFRAY-Ban
mention de roi)>
imyar tributaire d'Aksūm et allié de Byzance
Le règne de Marthad il n Yanūf
[c. 500-c. 515]
Marthad il n Yanūf TTL2
Mr d ln Yn(w)f
<Première expédition du règne de K lēb en
Arabie, commandée par
ayy n (RIÉth
191) ?>
Juillet 504
-m r n 614 im.
Mars 509
-m n 619 im.
Fa 74 (Mr d ln Ynf TTL2) (Marib ; membres
de la commune Saba Kahl n)
Garb Ant Yem 9 d (mlkn Mr d ln Ynwf)
(Ẓaf r ;
palais
« ambassadeurs »
construit
au
nom
par
des
peut-être
aksumite)
ḍ
CIH 596 + 597 + RES 4157 + 4158 (...]mlkn
Mr d ln Ynf | [mlk S¹b w- -Rydn w-]
rmwt
w-Ymnt w- |[ rb-hmw wd w-T]hmt)
m
DhM 287 (al- ad ) (l. 7, [Mr d ln ]Ynf mlk
—
S¹b w- -Rydn w-
rmwt w-Ymnt [w- rb-
hmw wdmw-Thmt] ; l. 8, mlkn Mr d ln)
<Juillet 507 ou 509
-m r n [6]1[7 / 9]> <Garb NIS 4 (Ẓaf r ; dhu-G nn ; sans
mention de roi)>
Interrègne ?
[? 515-519 ?]
<Avril 515
- btn 625 im.>
<Yanbuq 47 ( lht Yaz an ; sans mention de
<Mai 519
-mbkrn 629 im.>
<Robin-Viallard 1 (Ẓaf r ; dhu- rf ban
roi)>
S²ddyn ; sans mention de roi)>
Les rois de Kinda
Le règne de Ma dīkarib Ya fur
[c. 519-522]
111
Ma dīkarib Ya fur TTL2
M dkrb Y fr
<Deuxième expédition du règne de K lēb en
<c. printemps 519>
Arabie, commandée par le roi lui-même,
mentionnée par Kosmas Indikopleustês)
-qyẓn 631 im.
Juin 521
Août 521
ẖrfn [63]1 im.
Ry 510 (Ma sal al-Jum )
Ja 2484 (M dkrb Y fr mlk | S¹b w- -Rydn wrmt | w-Ymnt w- rb-hmw
wdm w-
Thm[t]) ( am a)
La révolte de Yūsuf
Yūsuf As ar Yath ar, roi de toutes les
communes
[522-525 / 530]
Y(w)s¹f s¹ r Y r mlk kl s² bn
Juin 523
-qyẓn 633 im.
Juillet 523
-m r 633 im.
Juillet 523
-m r n 633 im.
n
Ry 508 / 2 (mlkn Ys¹f s¹ r) (Kawkab)
Ry 507 / 1 (ṬṬṬ ṬṬṬ] s² bn) ( im )
Ja 1028 / 1 (mlkn Yws¹f
s¹ r Y r mlk kl
s² bn) ( im )
<Novembre 523>
<Massacre des chrétiens liés à Byzance,
principalement à Nagr n>
<Entre 525 et 530>
<Troisième expédition du règne de K lēb en
Arabie, commandée par le roi lui-même>
[Bref interrègne avant 531 ?]
<Février 530
- ltn 640 im.>
<CIH 621 ( u n al-Ghur b ; mention de la
mort violente du « roi de imyar »)>
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
112
L'Arabie aksūmite
Le règne de Sumūyafa Ashwa
[c. 531-535]
Sumūyafa Ashwa T[TL2]
S¹myf s²w
Ist 7608 bis + Wellcome A 103664 (
f)
(ṬṬṬn]fs¹ qds¹ S¹myf s²w mlk S¹[b ṬṬṬ)
<Printemps 531>
<Ambassade de Ioulianos>
La dynastie d'Abraha
[c. 535-565]
1. Abraha TTL2
brh
<Quatrième et cinquième expéditions du
règne de K lēb en Arabie>
Février 548
- ltn ẖ(r)[n] 658
DAI GDN 2002 / 20 (mlk|n b(r)h Zb|ymn
TTL2)
Mars 548
-m n 658 im.
CIH 541 ( brh zl|y mlkn g zyn Rm s³ Zbymn
TTL2)
ll. 82-83 : Aks m dhu-Ma hir fils
du roi ( ks¹m -M h|r bn mlkn)
ll. 87-92 : conférence diplomatique à
Marib à l‘automne 547 avec des
représentants de Rome, de l'Çthiopie,
de la Perse et de trois princes arabes
Septembre 552
- l 662 im.
n
Muraygh n 1 = Ry 506 (mlkn brh Zybmn
TTL2)
Muraygh n 2 = Sayyid PSAS 1988, p. 136
(dhu-Dhar ni ) (mlk | brh) (même date que
la précédente)
Muraygh n 3 (mlkn brh Zybmn TTL2) (date
légèrement postérieure à Muraygh n 1)
Novembre 558 d-mhltn 668 im. Ja 544-547 (Ma rib ; dh Ms² rn) (mlkn brh
mlk S¹b w-| -Rdn w-
rmt w-Ymnt w- rb-
hmw dm | w-Thmt Rm s³)
<559-560 669 im.>
[c. 565-568]
<CIH 325 (sans mention de roi)>
2. [Aksūm] (fils d'Abraha)
Les rois de Kinda
113
Connu par les traditions arabo-islamiques ;
aucune attestation épigraphique du règne ;
mentionné comme « fils du roi » en 658 im.
(CIH 541 / 82-83 : ks¹m -M h|r bn mlkn).
3. [Masrūq] (fils d'Abraha)
[c. 568-570]
Connu seulement par les traditions araboislamiques.
Sigles : voir MÜLLER 2010 ; à défaut K.A. KITCHEN, Bibliographical Catalogue of Texts
(Documentation for Ancient Arabia, Part II) (The World of Ancient Arabia Series),
Liverpool (Liverpool University Press), 2000.
Sigles soulignés : textes officiels, qui ont le(s) souverain(s) imyarite(s) pour auteur(s).
TL : titulature longue, « roi de Saba , dhu-Rayd n,
Rydn w-
a ramawt et Yamnat » (mlk S1b w- -
rmwt w-Ymnt)
TTL1 : titulature très longue du type mlk S1b w- -Rydn wThmt, « roi de Saba , dhu-Rayd n,
rmwt w-Ymnt w- rb wd w-
a ramawt et Yamnat, ainsi que des Arabes de
awd et Tih mat »
TTL1 bis : titulature attestée uniquement de manière fragmentaire, peut-être un abrègement
libre de TTL1 : ]|mlk S¹b w-( -)[Rydn w-
rmwt w-]|Ymnt w- [wd w-Thmt ... ...]
TTL2 : titulature très longue du type mlk S b w- -Rydn w1
w-Thmt, « roi de Saba , dhu-Rayd n,
rmwt w-Ymnt w- rb-hmw wdm
a ramawt et Yamnat, ainsi que de leurs Arabes,
de awd et Tih mat »
TTL (?) : titulature très longue en partie restituée, de sorte qu‘on ignore si elle est du type 1
ou 2
Début de l'ère imyarite (ou de Mab
b. Ab a ) : probablement avril (?) 110 è. chr.
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
114
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Sharaf 29, 35 : SHARAF AL-DIN 1967.
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
126
Liste des illustrations
Tableau 1 : Les rois de Kinda, Madh ij et Qa
n mentionnés dans les inscriptions,
p. 67.
Tableau 2 : Les rois de Kinda au IIIe siècle de l‘ère chrétienne (épigraphie et traditions),
p. 69.
Tableau 3 : Les dynasties royales de Kinda, p. 87.
Tableau 4 : Kinda dans la descendance de Qa
n, p. 88.
Tableau 5 : Les tribus arabes fournissant des auxiliaires aux rois imyarites lors de
leurs expéditions en Arabie déserte, p. 99.
Tableau 6 : Les rois de imyar des IVe, Ve et VIe siècles, pp. 104-113.
Carte 1 : L‘Arabie au VIe siècle avec les limites extrêmes de la principauté kindite,
p. 127.
Fig. 1 : Le graffite
ujr-Gajda mentionnant « ujr b. Amr roi de Kinda »,
gr bn
mr mlk Kdt (partie gauche) (Naf d Musamm , à quelque 25 km au nordm
ouest de Kawkab et à une centaine de kilomètres au nord-est de Najr n), p.
128.
Fig. 2 : Le graffite
m
ujr-Gajda mentionnant « ujr b. Amr roi de Kinda »,
mr mlk Kdt (partie droite), p. 129.
gr bn
Les rois de Kinda
127
128
CHRISTIAN JULIEN ROBIN
Fig. 1 : Le graffite ujr-Gajda mentionnant « ujr b. Amr
roi de Kinda », gr bn mrm mlk Kdt (partie gauche)
(Naf d Musamm , à quelque 25 km au nord-ouest de
Kawkab et à une centaine de kilomètres au nord-est de
Najr n).
Les rois de Kinda
Fig. 2 : Le graffite ujr-Gajda mentionnant « ujr b. Amr roi
de Kinda », gr bn mrm mlk Kdt (partie droite).
129